Son pilotage était un art
« Au plan du pilotage pur, l’Italien Elio de Angelis fut le plus beau pilote qu’il m’ait été donné d’admirer », confie Johnny Rives dans « La course aux souvenirs ».
« Elio de Angelis jouait merveilleusement du piano », rappelle Philippe Lambert dans « Pilotes de Formule 1, l’épreuve des hommes ». Dans le même ouvrage, l’auteur constate que « a priori, la conduite d’une Formule 1 repose sur une succession d’actes techniques. Mais on en vient à se demander si le sang des pilotes ne charrie pas quelques globules empruntés à l’artiste. Ne parle-t-on pas d’art du pilotage ? »
Le pilote italien Beppe Gabbiani confirme un rapport étroit entre l’amour de l’art et celui du pilotage. Il s’intéresse aux peintres et à la sculpture. Il aime voyager à la découverte d’horizons nouveaux. Beppe, qui appartient à la même génération qu’Elio, comptait d’ailleurs parmi ses amis.
Si Elio disparut trop tôt, il laissa un souvenir inoubliable à plusieurs générations de pilotes. A titre d’exemple, Jean Alesi choisit le design de son casque (fond blanc décoré d’une bande noire et d’une bande rouge) en hommage au champion italien. L’approche de la date anniversaire de sa disparition (15 mai 1986) constitue l’occasion de lui rendre hommage en republiant un texte écrit en 2010 pour un site canadien aujourd’hui en sommeil.
Un garçon brillant
Une bonne fée semble s’être penchée sur le berceau d’Elio de Angelis. Il naît dans un milieu aisé. Son père, ancien pilote de haut niveau en motonautisme, ne s’opposera pas à sa carrière sur quatre roues, au contraire. C’est donc dans de bonnes conditions qu’il se lance dans le karting. Les résultats ne se font pas attendre. Il conquiert un titre national et devient vice-champion du monde l’année suivante.
En F3 aussi, les résultats arrivent tout de suite. Elio n’a que 19 ans lorsqu’il découvre la discipline. Il remporte le titre national dès sa première saison, Puis en 1978, il inscrit son nom au palmarès du prestigieux Grand-Prix de Monaco F3, celui qu’il faut gagner devant les décideurs de la F1. Dans la liste des vainqueurs de l’épreuve, son nom figure juste sous celui de Didier Pironi, vainqueur de cette course en 1977. Hasard du destin, les deux hommes sont nés un 26 mars, à six ans d’intervalle.
En 1979, Elio débute en Formule 1 chez Shadow. Hélas, les voitures noires de Don Nichols ne sont plus que l’ombre des monoplaces qui avaient permis à notre Godasse de plomb national, Jean-Pierre Jarier de signer quelques exploits (dont la pole au GP du Brésil 1975) et à Alan Jones de remporter un Grand-Prix (Autriche 1977). Les problèmes mécaniques se succèdent. Mais les spécialistes décèlent tout de même le talent d’Elio qui sera récompensé par une belle 4ème place à Watkins Glen, dernière épreuve de la saison.
Colin Chapman l’intègre au Team Lotus pour 1980, aux côtés de Mario Andretti, Champion du monde 1978.
Six ans chez Lotus
La Lotus de 1980 ne domine pas la concurrence comme celle qui a conduit Mario Andretti au titre deux ans plus tôt. Mais Elio termine tout de même second au Brésil, premier Grand-Prix de l’année. Il signera ensuite deux quatrièmes places, sans compter un podium en Espagne, épreuve ne comptant pas pour le Championnat.
« Elio a véritablement démontré ses qualités cette année, analysent les journalistes du magasine Grand-Prix F1 en fin de saison. Il fait partie, de toute évidence, des pilotes les plus rapides du plateau, et il a considérablement gagné en maturité. »
Elio, qui est prêt à jouer régulièrement les premiers rôles, croit qu’il va disposer d’une arme redoutable en 1981, la Lotus 88. Colin Chapman a mis au point une nouvelle monoplace révolutionnaire. Elle comporte deux châssis indépendants l’un de l’autre afin de dissocier les charges aérodynamiques des masses d’inertie. Ainsi, les suspensions travaillent sans l’effet du vent de la vitesse qui écrase les ressorts. Un châssis porte le moteur, la boite de vitesses, le réservoir et le pilote, l’autre la carrosserie et le circuit de refroidissement. Ce châssis a une suspension indépendante du châssis en liaison avec la piste. L’utilisation de kevlar et de carbone sur le châssis primaire à l’exclusion de tout aluminium permet un poids minimum malgré la complexité technique.
Le génie de Colin Chapman s’exprime une nouvelle fois au grand dam de la concurrence qui déposera réclamation et obtiendra de la fédération dirigée par Balestre l’exclusion de la voiture et une amende de 100.000 $ contre Lotus. Ce n’est pas d’hier que la fédération sait manipuler les championnats ou tout au moins tenter de le faire. La sanction financières seront finalement levées mais la 88 n’obtiendra jamais le droit d’en découdre sur la piste. Avec une machine loin de répondre à ses attentes, le pilote italien limite la casse et démontre ses qualités de régularité en terminant huit fois dans les points.
1982 ne sera pas une année comme les autres. Tout le monde le sent dès Kyalami où un violent conflit éclate entre les pilotes et le bloc FISA-FOCA à cause du joug intolérable sous lequel les pouvoirs sportifs et financiers entendent écraser les pilotes. Mais ceux-ci se révoltent. Ils désignent Didier Pironi pour défendre leurs intérêts. Pendant que Didier, leader choisi par ses pairs, croise le fer en première ligne du front à Kyalami, ses camarades se retranchent dans un hôtel transformé en maquis de résistance à l’oppresseur. Parmi eux, Elio de Angelis qui joue du piano pour distraire ses pairs et entretenir l’ambiance conviviale.
Balestre et Ecclestone devront apprendre à composer avec les pilotes. Mais 1982 sera une année noire, marquée par les décès de Gilles Villeneuve et Ricardo Paletti ainsi que par les graves blessures de Didier Pironi à Hockenheim.
Cela fait quatre ans qu’une Lotus n’a pas gagné en Grand-Prix. Une situation insupportable pour Colin Chapman. Un affront qu’Elio de Angelis va venger le 15 août à Zeltweg. Au terme d’une résistance acharnée contre Keke Rosberg – les deux pilotes ont négocié la dernière courbe roues contre roues - Elio franchit le drapeau à damier 25/1000èmes de seconde devant son rival finlandais. Il fait son entrée dans le club très fermé, un club de seigneurs, celui des vainqueurs de Grands-Prix.
Colin Chapman voit pour la dernière fois une de ses voitures gagner un Grand-Prix. L’année 1982 s’acharnera jusqu’au bout sur les acteurs de la F1. Colin Chapman, l’ami de Jim Clark, le créateur du mythe Lotus, décédera au mois de décembre.
Que va devenir Lotus ? Avant sa disparition, Colin Chapman a négocié avec Renault la fourniture de son moteur Turbo. Un duo composé de Peter Warr, collaborateur proche du fondateur de Lotus et de Peter Wright, directeur technique, prend les rênes. La 93 T déçoit Elio. Il décroche une pole et réussit souvent d’excellentes qualifications, mais la voiture manque de fiabilité. Les choses vont beaucoup mieux en 1984. Si la Lotus ne peut rien contre les McLaren ultra dominatrices confiées à Lauda et Prost, Elio prend la troisième place au championnat derrière l’Autrichien et le Français.
En 1985, Elio de Angelis aborde sa sixième saison chez Lotus. Il dispose de la 97 T conçue par Gérard Ducarouge. Il pointe en tête du championnat en début de saison. Il terminera onze fois dans les points et gérera très intelligemment des Grands-Prix où il faut économiser l’essence pour éviter les pannes sèches. Son pilotage tout en finesse, efficace et sobre, s’accommode plutôt bien à cette nouvelle contrainte. Seule ombre au tableau, l’arrivée de Senna dans l’équipe. Ayrton se révèle rapidement un équipier encombrant tant il veut la victoire. Les deux hommes viennent de milieux policés et bien élevés. Leur bonne éducation et leur dignité leur interdisent de s’épancher vulgairement devant le premier micro qui passe. Mais Elio avoue tout de même en privé que « Ayrton veut tout pour lui, c’est invivable ».
Elio remporte sa seconde victoire à Imola au terme d’une course où Prost est déclassé car sa voiture était trop légère à l’arrivée. Une vraie victoire tout de même. D’ailleurs, Elio aussi a vu des podiums et des victoires s’évanouir à cause d’un sort contraire. Au finish chez Lotus cette année-là, le compteur affiche deux victoires pour Ayrton et une pour Elio, 38 points pour Ayrton contre 33 pour Elio. L’Italien n’a pas été ridicule, loin s’en faut, face à un des plus grands monstres sacrés de l’histoire de la course automobile. Mais il préfère tout de même changer d’air.
Maudit aileron
Elio va piloter pour l’Écurie Brabham en 1986. Il dispose de la BT 55, une auto audacieuse, très basse et allongée avec une boite 7 rapports accouplée à un moteur BMW.
Trois jours après le Grand-Prix de Monaco, il participe à une séance d’essais privés sur le circuit Paul Ricard. Soudain, à près de 300 km/h, le pilier d’aileron cède à l’approche du S de la Verrerie. La voiture prend feu sous les yeux de Nigel Mansell qui fut l’équipier d’Elio pendant quatre ans chez Lotus.
« Bernie (NDLR : Ecclestone) me téléphona immédiatement à Londres, rapporte le Docteur Sid Watkins, médecin de la F1, et Elio fut transféré à Marseille dans le même hôpital où Franck Williams avait été conduit cette année-là. Le Dr Vincentelli était toujours là, et je pus lui parler tout de suite au téléphone. La situation était sans espoir, car les lésions au cerveau étaient irréversibles avant son arrivée à l’hôpital. »
« Il (NDLR : Elio) maîtrisait sa F1 avec un doigté de pianiste », écrira Johnny Rives.
Elio de Angelis n’avait que 28 ans. Un grand pilote, un authentique artiste de la F1, rejoignait le paradis des pilotes quelques jours seulement après les disparitions tragiques de Henri Toivonen et Sergio Cresto, à peine plus vieux que lui, sur une route de Corse, à quelques dizaines de kilomètres du circuit Paul Ricard. Le moi de mai 1986 se révéla cruel et meurtrier.
Vous pouvez également me retrouver sur http://circuitmortel.com , https://gotmdm.com/driver/ et http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Elio de Angelis était né le 26 mars 1958. Il nous a quittés beaucoup trop tôt, le 15 mai 1986). Pour plus de détails sur lui, n’hésitez pas à visiter ce site qui célèbre son souvenir : http://www.eliodeangelis.info/
Je vous conseille aussi de visionner cette vidéo qui lui rend hommage
http://www.youtube.com/watch?v=jqCg_sUmWmU
La Lotus F1 de 1980 parmi mes belles de courses favorites http://bit.ly/1pSQIGc
La course automobile inspire des artistes, notamment des auteurs de BD
http://bit.ly/1AKcviW
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Thierry Le Bras