Didier Pironi et Alain Colas, deux champions qui, à la réflexion, possèdent de nombreux points communs et connurent des trajectoires parallèles.
Et pas seulement la notion de pilotage applicable tant aux monoplaces qu’aux voiliers de course, comme le fait observer Laurent Bourgnon qui, comme ses confrères, qualifie les multicoques de F1 des mers !
LA FORCE DE LA VOLONTÉ
Didier Pironi et Alain Colas vont se battre. Ils portent en eux de grands projets auxquels ils ne renonceront jamais.
Hospitalisé au C.H.U. de Nantes, Alain Colas subit une opération chirurgicale de 7 heures. A peine sorti de l'anesthésie, il déclare à son frère Jeff et à leurs proches: "Je vais expliquer ce qui est arrivé. Après, on ne parlera plus de l'accident. Dans un an, c'est le départ de la Transat et j'y serai avec le grand bateau. Une seule chose compte, réaliser ce projet". Il transforme sa chambre d'hôpital en bureau et s'efforce de ne rien laisser paraître qui puisse trahir la gravité de son état. Ses partenaires lui conservent toute leur confiance.
Alain sera bien au départ de la Transat 1976.. Il vit une course terrible, car les concurrents essuient 5 fortes dépressions consécutives si fortes qu’Éric Tabarly fait demi-tour, avant de décider quelques heures plus tard de reprendre la route de Newport. Le pied blessé d’Alain le fait horriblement souffrir. A quelques centaines de milles de Newport, il est en tête, mais il ne le sait pas. Il capte un message radio erroné sur la position de Tabarly et, se croyant vaincu, fait escale 36 heures à Terre-Neuve pour remplacer les voiles. Malgré le temps perdu, il franchit la ligne d'arrivée seulement 7 heures 28 minutes derrière le vainqueur. Le retour était presque gagnant.
Après son terrible accident, Didier Pironi manifeste le même acharnement à réaliser son projet, redevenir pilote de Formule 1. Ses blessures sont encore plus graves que celles d'Alain Colas. Leur guérison demandera donc plus de temps. Après les premiers soins à l’hôpital d'Heidelberg, il est soigné par le professeur Letournel dont il devient un ami. Il subit 35 interventions chirurgicales, 6 greffes osseuses, et passe plus de 100 nuits à l'hôpital. Le traitement de sa jambe droite, la plus touchée, s'échelonnera sur une durée de 4 ans.
Il ne renoncera jamais à l'intention de revenir en Formule 1 dans une écurie de pointe. Dès qu'il peut marcher, il commande à Tico Martini un pédalier de monoplace dans le but de s'entraîner aux mouvements qu'un pilote doit accomplir. A plusieurs reprises, il s'essaye secrètement au pilotage de monoplaces. Ce sera d'abord au volant de voitures appartenant à un collectionneur, avant de piloter une A.G.S. au Castellet en août 1986 et une Ligier à Dijon en septembre de la même année. « Il avait conservé sa vision de pilote d'exception », témoigne Gérard Larrousse. De sérieux contacts seront engagés avec l'écurie McLaren pour la saison 1987. Ils n'aboutiront pas, pour des motifs étrangers à la volonté des principaux contractants. Des raisons qui s’appellent le veto d’un certain Prost. Mais au mois d'août 1987, Didier Pironi a un contrat de Formule 1 en poche pour l'année 1988. « Quelques jours avant sa disparition, il s’est mis d’accord avec l’équipe Larrousse-Calmels pour laquelle il a servi de pierre angulaire pour la motorisation Lamborghini », rapporte Christian Courtel.
En attendant de revenir à la formule reine du sport automobile, Didier s'engage dans le championnat d'Europe d'Off Shore. Dans cette discipline, il peut piloter sans se servir de ses jambes en cours de rééducation.
Début 1987, il se fait construire un bateau révolutionnaire en carbone monolithique. Il le baptise Colibri. Didier Pironi calque l'organisation de son équipe sur celle des teams de Formule 1 et se fixa un objectif: devenir champion du monde de Off Shore. L'engin est propulsé par deux V12 Lamborghini qui développent 1.500 chevaux.
Comme Alain Colas avec son monocoque géant, Didier Pironi choisit la voie de la difficulté. Le Colibri, que Bernard Giroux, son navigateur, qualifie de « véritable obus », est un bateau étroit, léger, qui menace toujours de se coucher sur le côté ou de s'envoler. Dangereux certes. « Plus encore que la F1 », reconnaît Didier. Mais il représente une arme de compétition redoutable entre les mains de son pilote. D’ailleurs, après quelques courses de mise au point, Didier remporte l'épreuve de championnat d'Europe organisée en Suède. Didier Pironi a démontré la force de son équipe, la justesse de son choix et ses talents de pilote sur mer. Il croit à ses chances de remporter le Championnat du monde devant les Italiens, jusqu'alors spécialistes incontestés de la discipline.
DES HOMMES D’AFFAIRES AVISÉS
Didier ne chôme pas durant sa rééducation. Il met son intelligence et son énergie au service du monde des affaires.
Il s’occupe de la société familiale avec sa mère et son demi-frère José, d’une exploitation forestière dont il est propriétaire dans la région de Rambouillet, d’une société de distribution de cassettes vidéo. Il devient chroniqueur et commentateur pour L’Équipe Magazine, pour TF1, pour Canal +.
Mais il lui fait un challenge plus excitant. Il le trouve en devenant l’importateur exclusif des bateaux Lamborghini. Et il rachète à Saint-Tropez un chantier qui vend, loue, répare et assure le gardiennage de off-shore. Pour ce faire, il constitue une société avec José comme associé. Elle s’appelle Leader. Pourquoi Leader ? Clin d’œil à Jean Graton, le créateur des albums de Michel Vaillant. Didier apparaît souvent dans les aventures du pilote français et ses liens d’amitié avec Michel sont régulièrement évoqués. Parmi les clients de cette société figurera un autre Michel, Michel Sardou, qui s’initiera au off-shore avec Didier, lui en achètera un, puis le revendra immédiatement après la mort du pilote, trouvant l’engin trop dangereux.
Gageons en outre que le rôle que Didier s’apprêtait à jouer chez Larrousse – Calmels aurait dépassé celui d’un simple pilote.
Pour sa part, Alain Colas est sans doute le premier skipper à comprendre qu’au plus haut niveau, l’engagement d’un voilier de course est une entreprise. Lorsqu’il prépare son tour du monde en solitaire sur Manureva, il innove en matière de communication. Il ne cherche pas de sponsors au sens strict, mais des partenaires auxquels il apportera une prestation en contrepartie de l’argent reçu. Son talent de narrateur assurera le succès de l’opération. Il obtient la confiance de trois organes de presse. Une chaîne de télévision achète le film qu’il tournera lui-même durant son périple. RTL diffusera sur les ondes les interviews qu’il communiquera au moyen d‘un radio-téléphone, et le journal Tintin publiera régulièrement le récit de son voyage. Au retour, après 168 jours de mer, il enchaîne inlassablement les conférences et travaille à son grand projet, la mise en chantier de son monocoque géant qui mesurera 72 mètres.
Un des arguments qui servira à convaincre les partenaires sera la prise de conscience de la crise de l’énergie. Le voilier géant ne sera pas qu’un monstre programmé pour gagner des courses. Parmi les énergies de substitution au pétrole figure le vent, totalement gratuit. Et le clipper des temps modernes qu’imagine Alain Colas bénéficiera d’une capacité de transport supérieure à celle d’un Boeing 747 ou de nombreux cargos. Il faudra beaucoup d’argent pour construire le bateau. Alain obtient grâce à l’aide de Gaston Deferre des espaces publicitaires gratuits dans le presse du Sud-Est. Au printemps 1975, le financement est bouclé. Gilbert Trigano se laisse convaincre. Il y voit un outil de communication fantastique pour le Club Méditerranée.
Après sa défaite à la Transat anglaise 1976, Alain ne se laisse pas abattre. Il conçoit immédiatement de nouveaux projets pour le Grand bateau. Sa popularité est énorme. Il est réclamé partout. « Je suggère d’organiser une tournée du bateau dans les ports, témoigne son ami et collaborateur Maurice Hérat. L’idée enthousiasme Alain. L’opération se met en place. Elle s’appellera « Bienvenue à bord. » La tournée s’organise comme celle d’une star du show-bizz. Europe 1 s’y associe. L’arrivée de Club Méditerranée sera annoncée sur les ondes plusieurs fois par jour. Nous vivons à un rythme d’enfer, mais l’argent rentre. »
Lorsqu il disparaîtra en mer le 16 novembre 1978, certains journalistes insinueront qu’il a mis en scène sa disparition pour fuir ses créanciers. « Vengeance, rétorque Maurice. Alain gérait personnellement ses rapports avec les médias et leur vendait des reportages et des images. Certains journalistes ne le lui ont jamais pardonné. »
Maurice dément aussi les difficultés financières. « Cette thèse est aussi fausse que méprisable. D’ailleurs, si Alain avait été poursuivi par les créanciers, son Manureva que tout le monde savait à Saint-Malo avant le départ de la première Route du Rhum aurait fait l’objet de mesures de saisies conservatoires. »
L’entreprise d’Alain tourne bien. Quant à l’exploitation du grand bateau, coûteuse certes, elle s’équilibre grâce à une location au profit du Club Méditerranée en Polynésie. C’est d’ailleurs à cause de ce contrat qu’Alain prend le départ de la Route du Rhum avec Manureva et pas avec son monocoque géant.
Mais comme Didier, Alain ne fait pas l’unanimité parmi ses pairs. Leurs qualités suscitent mesquineries et jalousies. Trop intelligents, trop cultivés, trop élégants, trop bien élevés, trop doués dans tous les domaines, le sport, leur métier de coureurs, la communication. Trop aimés du public aussi.
Thierry Le Bras
A suivre
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Didier Pironi, le petit prince de la vitesse, le site de Jan Möller, très intéressant, très complet, très bien illustré :
http://www.didierpironi.net/index2.htm
Je signale dès à présent que Jan est aussi l’auteur d’un ouvrage de référence sur Didier :
Didier, Dreams and Nightmares
Éditions Mercian
(cet ouvrage est écrit en langue anglaise – il est disponible en France à la Librairie du Palmier)
Je mentionnerai à la fin de cette série d’articles une très bibliographie complète concernant Didier.
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Les fictions dans l’univers à la fois passionnant et cruel du sport automobile vous passionnent ? Retrouvez les dans les romans de Thierry Le Bras qui raconte les aventures de l’avocat-pilote David Sarel. Didier Pironi est cité dans les deux ouvrages dont les références suivent car il représente pour le personnage principal une référence et un modèle à suivre :
« Circuit mortel à Lohéac » et « Chicanes et Dérapages de Lorient au Mans » sont publiés aux Éditions Astoure (diffusées par Breizh).