Renseignez-vous bien sur la composition du menu avant de commander…
Comme chaque année, chers amis, je vous invite à déguster un petit texte mijoté pour célébrer la Fête de la gastronomie. Amateurs de bonne chère, d’humour pimenté et/ou d’automobile, ce menu de lecture en 3 plats vous attend (suite dès demain matin) !
Philippe approchait de la retraite. Il se sentait dans une sorte de brouillard sinistre. Le temps avait passé depuis ses premières 24 Heures du Mans au bord de la piste. Cette année-là, Ford l’avait emporté pour la première fois. Il était encore collégien à cette époque. Il avait vécu une belle jeunesse avec son inséparable cousin Laurent. Avant, ils avaient aimé les bolides, les jolies femmes, les bons petits plats, le sport, les vacances au bord de la mer, les musiques tourbillonnantes…
Mais ça, c’était avant Tout avait changé peu à peu, au point d‘aboutir à une société sans odeur et sans saveur où la gastronomie comme l’automobile n’avaient plus droit de cité (ni de campagne non plus, d’ailleurs). Une société liberticide livrée aux desseins très flous d’un conducteur fou qui avait conditionné des QI d’huitres sans rien dans le citron.
La prohibition du goût et du plaisir
Les mots délice, saveur, arôme, parfum ainsi que tous leurs dérivés étaient rayés du dictionnaire. Des autodafés avaient été organisés dans toutes les communes de France afin de brûler tous les dictionnaires où ils figuraient encore, tous les ouvrages de cuisine, tous les recueils de recettes, tous les magazines traitant de gastronomie. Le chef de l’État voulait que tout soit NORMAL, ce qui excluait la recherche du meilleur, y compris et surtout en matière de cuisine et d’automobile, ses phobies.
Les régions ne se partageaient plus le gâteau de la gastronomie française. Sous l’empire de la normalité uniforme, elles devaient mixer leurs ingrédients en reniant leurs particularités comme leurs frontières. Personne ne savait plus très bien selon quelle recette elles seraient découpées et cuisinées.
Les Bretons, qui avaient la tête près du Bonnet Rouge, vomissaient ce joug aussi lourd qu’un portique écotaxe qui leur interdisait la galette, aplatissait leurs portefeuilles devenus aussi fins que des crêpes. Le ministère de la gastronomie interdisait leurs plats préférés. Fini, les délicieuses galettes à l’andouille, au jambon, aux champignons, au lard, à la saucisse, avec des œufs, du beurre, des tomates… La galette n’était tolérée que servie avec des ingrédients originaires d’ailleurs, de la choucroute, du riz, de la pimentade, du hareng… Une brave crêpière de Plouhinec avait tenté de sauver les traditions ancestrales en détournant l’esprit des lois. Elle avait imaginé accorder ses galettes avec du jambon de Savoie, du fromage suisse, de la charcuterie allemande, des moules d’Espagne, du rhum antillais, de la confiture d’oranges marocaines, des tomates d’Israël, des ananas cultivés à l’Ile Maurice… Elle était au placard pour 9 mois fermes sans possibilité de remise de peine ni de libération anticipée. « Le temps de la gestation d’un esprit civique », avaient écrit les magistrats aux ordres dans leur jugement. Elle aurait le loisir de réaliser que rien ne devait plus mettre en valeur la cuisine française ni ses spécialités régionales. L’établissement de la cuisinière morbihannaise était confisqué par le fisc. En sortant de taule, elle n’aurait plus de blé, plus aucune possibilité de confectionner des crêpes ou des galettes.
Les statuettes, photos, vidéos et autres reproductions de Saint-Laurent, Patron des cuisiniers étaient interdites dans les églises comme chez les marchands de souvenirs ou autres commerçants. Il en était de même de celles de Saint-André, Patron des poissonniers, Saint-Antoine du Désert, Patron des charcutiers, Saint-Barthélémy, celui des bouchers, Saint-Honoré, protecteur des boulangers, Saint-Michel, ami des marchands de fruits et légumes, ainsi que d’autres encore rattachés directement ou indirectement à un métier de bouche. Le petit dictateur qui s’était approprié l’Élysée avait soumis une requête au nouveau pape. Il lui demandait de décanoniser tous ces saints, attendu qu’ils ne respectaient pas les préceptes religieux plus que ceux de son parti sectaire car ils favorisaient non seulement l’inégalité face à la jouissance culinaire, mais aussi la commission du péché de gourmandise. La gastronomie était en danger dans le monde entier, tout pouvait arriver.
Orage, eau, désespoir
Le Journal Officiel venait de publier un nouveau décret. Utiliser une expression culinaire synonyme de plaisir était désormais incriminé et sanctionné de 3 mois de prison ferme.
Plus question d’appeler sa compagne mon petit sucre d’orge ni mon chou (car il existait des choux à la crème). Interdit aux femmes d’appeler leurs amants mon lapin (il pourrait être cuisiné chasseur ou à la moutarde), ni mon canard (suspect d’être délicieusement accommodé laqué ou à l’orange). Des expressions plus triviales seraient également condamnables. Par exemple ma poule (il en existe au pot et à la crème) ou ma biche (la viande de biche ayant figuré à la carte de nombreux restaurants et traiteurs).
Encore avocat, Philippe soupira en lisant le décret. Il avait hâte de quitter le métier qui lui avait tant plu avant que le nouveau pouvoir détruise son utilité. Maintenant que les juges n’étaient plus que des valets appliquant comme des machines automatiques des textes ridiculement répressifs, servait-il encore à quelque chose ? Depuis des mois, tous les procès au pénal se concluaient inévitablement par le marteau de la justice écrasant le justiciable des peines maximales. Les juges tapaient aussi fort que l’administration fiscale. Les journalistes encore en fonction avaient oublié depuis longtemps toute notion de déontologie et d’information. Ils travaillaient à la propagande du dictateur et bavaient sur ses contradicteurs, ne reculant devant aucune falsification ni aucune bassesse pour les salir. Ils soutenaient la tambouille élyséenne avec l’obséquiosité de larbins en queue de pie dans les réceptions officielles du tyran. Un pays foutu ?
- Il existe au moins une expression qu’il n’est plus nécessaire d’interdire, ironisa mentalement Philippe. Avant, on disait d’un bon vivant qu’il valait mieux l’avoir en photo qu’à table. Maintenant, avec ce qui nous reste dans les assiettes, avoir quelqu’un en photo ou à table ne change pas grand-chose. Personne ne risque de se resservir tellement les menus sont dégueulasses…
Affamée par son bourreau, la France était déprimée. Il ne lui restait plus qu’un seul modèle de voiture, une caisse insipide, et elle avait perdu son appétit. Quant à son économie, elle était congelée.
A suivre…
QUELQUES LIENS A SUIVRE
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66, cuisine sympathique. Alain, personnage du roman, vous parle de ses recettes http://bit.ly/M3i5uT
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Le premier rêve prémonitoire de Philippe, une nuit de Noël http://bit.ly/1cAXkvM
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Thierry Le Bras