le pilote prépare l’addition (salée) de la morue
Voici venue l’époque de la seconde Fête nationale de la gastronomie.
Circuit Mortel a toujours souligné le goût des gentlemen drivers et des amoureux du Vintage pour les plats de choix, les restaurants conviviaux et l’humour exquis qui marient le vocabulaire gourmand avec celui de la compétition automobile.
L’occasion rêvée de vous offrir une courte fiction épicée où l’avocat-pilote David Sarel, héros récurrent de plusieurs romans et nouvelles, va très vite suspecter le crime parfait perpétré contre son père par sa seconde épouse, Soizick, une créature cupide qui fait des salades et ne saurait recevoir sobriquet mieux approprié que « morue à la sauce piquante ».
Dur à digérer
Cette année-là, le Championnat d’endurance auquel participait le Team Vivia comprenait une épreuve de 6 heures à Imola au mois de Mai. Bien que le circuit soit conforme aux normes de sécurité, il conserve une mauvaise réputation depuis le terrible week-end du 1er mai 1994 où Ayrton Senna y perdit la vie.
- Tous les pilotes y pensent lorsqu’ils roulent ici, avait avoué David quelques heures plus tôt à son ami Sébastien Ménier, journaliste au groupe GPMLP.
L’interview se déroulait par téléphone. Sébastien appelait depuis le siège de Total Infos à Paris. Les propos de David passeraient au JT de 20 heures avec pour illustration une photo de lui installé dans le baquet de la Vivia Super GT dont il partageait le volant avec ses équipiers Denis Grenier et Yvonnick Le Squernach.
Sébastien n’avait pas trouvé David dans son assiette lors de leur conversation. Nick Vareski, le meilleur ami de David, l’accompagnait à Imola. Lui-aussi avait observé que David semblait moins heureux que d’habitude sur le circuit. Le pilote avait reconnu se sentir un peu fatigué. Sans doute les conséquences de l’emploi du temps démentiel qu’imposait la compétition à un haut niveau tout en continuant à exercer son métier d’avocat.
Nick était très ouvert aux concepts de communication de pensée, de prémonition, de pouvoirs de l’esprit que la science ne permet pas encore de maîtriser bien qu’elle reconnaisse que les humains n’exploitent sciemment qu’une faible partie des potentialités de leur cerveau. Il redoutait confusément que le week-end ne s’annonçât pas sous les meilleurs auspices.
Le vendredi après-midi, les pilotes participaient à une séance d’essais libres. Les qualifications auraient lieu le lendemain et la course le dimanche. Les trois pilotes se relayaient au volant pour parfaire la mise au point de leur GT avec laquelle ils comptaient bien bouffer les Corvette, Aston et autres Maserati. Lorsqu’il montait dans l’auto, David confiait son téléphone portable à Nick.
Nick décrocha avec une pointe d'angoisse mais sans méfiance particulière lorsque l’appareil sonna.
- Maître Sarel ? interrogea une voix molle et gênée.
- Non, mais je peux prendre un message répondit Nick en imaginant un interlocuteur aussi énergique qu’un plat de nouilles cuites à l’eau sans le génie des cuisiniers italiens.
- C’est délicat. Vous pouvez me le passer ?
Nick expliqua que c’était impossible. La participation de David à des compétitions automobiles n’était pas secrète. Au contraire, l’avocat l’utilisait subtilement comme un vecteur de communication afin de mettre en avant sa combativité et son sang-froid, qualités précieuses chez un avocat. Faire appel à Maître Sarel, c’était s’assurer le talent d’un chef qui cuisinait l’adversaire avant de le servir en hachis à ses clients assoiffés de vengeance.
- Je suis maître Lâne, notaire, se répandit le plat de nouilles. Je voudrais que maître Sarel me rappelle dès que possible. Si vous pouviez faire arrêter sa voiture…
- Hors de question ! répliqua Nick. Dites-moi ce qui se passe et je le préviendrai dès son retour au stand si c’est urgent.
- Monsieur Grégoire Sarel, son père, est décédé, lâcha Lâne. La délicieuse madame Sarel, sa veuve, organise les obsèques religieuses lundi. Je suis chargé de régler la succession. Malgré l’inexistence de relations entre eux, madame veuve Sarel m’a chargé de prévenir son fils et de le convier à la cérémonie.
Nick savait tout des relations difficiles entre David et ce père maintenant disparu. La manière dont Grégoire avait été retourné comme une crêpe par l’ex entraîneuse de bar à putes, surnommée la morue, qui lui servait de seconde femme, la façon dont il avait chassé de sa vie tous ses proches, y compris son fils David, pour satisfaire l’appétit d’argent insatiable de la pilleuse de patrimoine, les tentatives d’assassinat (1) commanditées par l’horrible mégère contre David, ses manipulations, son manque total de respect de son mari, ses amants… La dernière madame Sarel ne méritait pas l’appréciation « délicieuse » employée par son interlocuteur. Ah non alors. Elle était pourrie jusqu’à la moelle, la bestiole.
- Comment Grégoire Sarel est-il mort ? questionna Nick, malgré tout ému par la nouvelle et conscient qu’une fois de plus, ses mauvais pressentiments ‘étaient pas vains.
Le plat de nouilles pataugeait dans la choucroute. En outre, les hurlements rageurs des bolides déboulant devant les stands rendaient la conversation difficile. « Putain, David avait raison, songea Nick. Cette salope a fini par coller le bouillon de onze heures à son vieux mari pour s’en débarrasser. » Ce plat de soupe ne va rien me dire. De toute façon, pour avoir été choisi par la marâtre, c’est forcément un fruit pourri. Il va m’envoyer me faire cuire un œuf. Mais contrairement à ses craintes, le fossoyeur d’intérêts des héritiers légitimes ne le laissa pas mariner.
- Cancer du fumeur, finit-il par répondre, soulagé au fond de ne pas avoir à servir directement le plat amer à Maître Sarel. Ainsi, celui-ci aurait digéré la nouvelle s’il le rappelait et la conversation serait moins pénible.
- Je ne peux pas vous en dire plus, ânonna Lâne. Je dois tout de même réserver la primauté de certaines informations à Maître Sarel. Vous croyez qu’il tiendra le coup ? Ce serait bête, n’est-ce pas, qu’il ait un accident sur un circuit ce week-end et se tue juste après la mort de son père.
- Ne vous en faites pas pour lui, c’est un dur à cuire, maugréa Nick, toujours convaincu avec raison qu’un conseiller de l’ignoble morue ne pouvait être par définition qu’un ennemi mortel de son ami David. Tout le monde sait à quel point votre cliente aimerait voir son beau-fils aller sucrer les fraises, mais attendez-vous plutôt à ce qu’il lui serve un de ces jours sa spécialité, la vengeance, un plat succulent quand il se mange froid.
Après que Nick eût raccroché, Lâne s’envoya un Gin Tonic derrière la cravate. Le menu promis ne lui disait rien qui vaille. Il pressentait l’indigestion d’emmerdements.
Des salades pour l’avocat
Nick ne demanda pas à Yves Taden, chef mécanicien de la voiture de David, de faire arrêter la GT avant la fin de la série de tours prévue. Cela n’aurait servi à rien. Il était trop tard pour Grégoire Sarel parti vers un autre monde. Il laissa même son ami enlever tranquillement son casque, boire un peu d’eau et s’éponger le visage avant de l’entraîner derrière le stand.
- Je ne savais même pas qu’il était malade, soupira David. Il ne m’a pas prévenu. Personne de son entourage ne l’a fait non plus. Les familles recomposées nouveau modèle social ? Tu parles, des familles décomposées oui… Enfin, sans doute pas tout le temps non plus, mais au moins quand une trainée sortie du caniveau pêche un mec qui a réussi dans ses filets et le conditionne à sa sauce.
- Qu’est-ce que tu vas décider pour les obsèques ? s’enquit Nick. On y va tous avec nos femmes et nos amis ou tu boycottes ?
- Des obsèques religieuses, c’est une provoc à gerber ! s’indigna David. Moi, je suis croyant, mais n’oublie pas que Grégoire était athée. Les églises, c’était pas son truc. Tout le monde le sait. La morue veut insulter sa mémoire et lui infliger une humiliation de plus, fût-ce post-mortem. Comme quand elle l’avait amené à la Cathédrale de Rennes à la messe de minuit, juste histoire de montrer à toute la bourgeoisie du cru comme il lui mangeait dans la main. Si je ne me retenais pas, lundi, c’est des châtaignes que j’irais leur coller dans la poire, à elle et aux petits gorets qu’elle a sortis de ses entrailles depuis qu’elle a harponné mon père.
Quelques minutes plus tard, l’entretien téléphonique entre David et le notaire de sa marâtre fut agité. Comme la vinaigrette avant de la servir. L’avocat pilote reprocha vertement les salades qu’avaient préparées le vieux crabe et sa mandante. Le rond de cuir fit monter la mayonnaise. L’ébauche de la carte du notaire quant au menu de la succession, officiellement aussi légère qu’une crème 0%, confirmèrent les magouilles que David prévoyait depuis toujours. Soizick, l’escroc en jupon, avait trouvé un aide de cuisine successorale complaisant pour mijoter ses malversations à petit feu.
Mais la colère monta au nez de David comme de la moutarde forte quand le notaire laissa filtrer d’un ton badin une information qui n’avait rien d’anodin.
- Rassurez-vous, votre père ne passera pas par l’église. Il a été incinéré. A l’heure qu’il est, ses cendres ont été dispersées dans une rivière des Côtes d’Armor. Je ne sais plus laquelle…
- Sans que j’aie été consulté ! rugit David d’un ton qui fit pressentir à son interlocuteur qu’un jour ou l’autre, il se trouverait sur le grill. C’est intolérable et je saurai m’en souvenir, n’en doutez pas. Grégoire s’est fait rouler dans la farine par ce monstre qui vous pétrit à sa façon, balança-t-il au plat de nouilles qui l’écoutait, désormais rouge comme une tomate. Elle l’appelait mon petit sou à la crème d’oseille et il n’en faisait même pas un fromage. Moi c’est différent, je vous préviens; Je n’avale pas n’importe quoi. Comme vous l’a annoncé mon ami Nick, j’adore la vengeance, ce plat exquis qui se déguste froid, quand certains tentent d’oublier qu’il reste au menu.
La recette du crime parfait cuisinée par un QI d’huître
Nick et David partageaient la même chambre à l’Hotel Cavalieri Viaggiatori, un établissement proche du circuit.
David ne trouvait pas le sommeil. Nick et lui discutèrent jusque tard dans la nuit.
- Quelque chose m’interpelle, confia David. Grégoire meurt mercredi et je suis prévenu aujourd’hui, c’est-à-dire deux jours plus tard. Le notaire a prétendu qu’il avait eu du mal à me joindre. C’est me prendre pour un lapin de six semaines. D’accord, il n’avait pas forcément mon 06 en mémoire, mais s’il avait appelé le cabinet en arguant d’un problème familial grave, j’aurais été prévenu sur le champ. Il pouvait me joindre immédiatement, mais il ne voulait pas m’avertir plus tôt.
L’avocat pilote appelait toujours son géniteur Grégoire ou mon père. Il était incapable de prononcer le mot papa.
- J’y ai pensé aussi, dit Nick. J’attendais un peu avant de t’en parler. Je crois que je devine ton raisonnement.
- Clair comme de l’eau de roche, reprit David. D’accord, avec son cancer, Grégoire était cuit. Mais d’après ce qu’a laissé échapper le notaire, il travaillait encore dans sa chambre d’hôpital une heure avant son décès et il n’avait jamais eu de perte de connaissance.
- Tu penses que…
- La morue a usé de son instinct de prédateur. Elle a voulu l’empêcher de mener des opérations auxquelles il tenait avant sa mort, sans doute une donation à mon demi-frère pour le mettre à l’abri de sa sœur et de sa mère, peut-être aussi quelque chose à Justine (2) pour qu’elle veille sur lui. La morue est si cupide qu’elle n’aura pas supporté de voir le moindre euro lui échapper. Elle lui a collé une overdose de calmants ou elle l’a étouffé pour l’empêcher d’exécuter ses projets.
- L’hôpital a laissé passer…
- Évidemment. Ils ont probablement eu des doutes. Mais ils se sont dit que Grégoire s’était suicidé avant la fin ou que sa femme l’avait aidé à partir avant la fin. Et surtout, ils ont eu peur du scandale. Un meurtre dans leurs murs, ça aurait fait désordre. Mieux valait couvrir une criminelle que risquer une enquête et des emmerdements avec des héritiers.
- Et tu n’y crois pas…
- Pas une seconde. La crémation expresse et la dispersion immédiate des cendres dans la foulée, c’est un aveu de culpabilité. Si la morue n’avait pas eu peur que je déclenche une autopsie ou une analyse des cendres, elle n’aurait pas pris la peine de me faire prévenir juste au moment où je ne pouvais plus provoquer l’intervention d’un médecin légiste ni de la police scientifique.
- Qu’est-ce que tu vas faire ? interrogea Nick.
- Faire mijoter la morue aux petits oignons. Me venger à petit feu. En toute légalité. Je vais recueillir des preuves, en utiliser quelques-unes, en conserver d’autres en réserve. Et tout à coup, au moment où elle s’y attendra le moins, lui servir ma vengeance, un plat qui se mange froid. Là, je mordrai comme un cobra. Je l’enverrai au placard et elle n’aura plus de blé, plus un radis. Le pire qui puisse lui arriver. Elle va déguster.
- Tu te sens en état de piloter ce week-end ?
- Oui, ne t’en fais pas. Michèle Mouton a pris le départ d’un rallye du championnat du monde alors que son père venait de s’éteindre. Bien, sûr, la disparition de Grégoire me fait de la peine. Mais je sais comment il était, comment il utilisait tout le monde et n’agissait que dans l’intérêt de la morue. Même ses meilleures copines, il les manipulait. Il faisait mariner des pauvres filles qui fondaient d’amour pour lui jusqu’au moment où elles se rendaient compte qu’elles comptaient pour du beurre et servaient d’ersatz à la morue … Je sais aussi que si c’était moi qui étais mort, juste après la surprise, sa première pensée aurait été « ma petite Soizick chérie va être contente ». Il n’aurait eu aucun scrupule à sabler le champagne avec elle pour fêter ça.
- Quand même pas, objecta Nick.
- Si, hélas, soupira David. Je ne dis pas qu’il n’aurait pas été attristé, mais je suis sûr qu’il aurait fait ce que voulait la morue, y compris fêter ma disparition et qu’au fond de lui-même, il se serait dit « Soizick est contente, donc tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
Nick n’insista pas. Il savait que Grégoire, ensorcelé par la morue, avait été capable du pire. Cette créature démoniaque avait transformé un homme plutôt généreux à l’origine en authentique diablotin. Il préféra aborder un autre sujet.
- Toi, avocat, tu confirmes que le crime parfait existe et qu’il peut se passer tout près, à notre porte ?
- Bien sûr, conclut Nick. Le crime parfait, c’est celui qui ne provoque pas l’ouverture d’une enquête. Je suis convaincu qu’il s’en exécute plusieurs milliers par an, rien qu’en France. Dans l’inconscience due à son QI d’huitre, la morue a beau être bête à bouffer du foin, elle a trouvé une des recettes du crime parfait. Occire un être en état de faiblesse, un malade ou une personne âgée. Dans le doute sur ce qui s’est réellement passé et dans le souci d’éviter les complications et un scandale, le médecin délivre le permis d’inhumer sans provoquer d’autopsie. Il ne reste plus à l’assassin qu’à faire incinérer le corps et à disperser les cendres avant que les autres membres de la famille apprennent le décès. Ignoble, infâme, méprisable, vil et bas, mais efficace…
- Terrifiant, se désola Nick...
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Vous pouvez également me retrouver sur http://circuitmortel.com , https://gotmdm.com/driver/ et http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/
(1) une des tentatives d’assassinat émanant de l’entourage de la morue est rapportée dans Circuit Mortel, un polar au cœur de la course automobile http://bit.ly/29fHooI
(2) Justine Sorbet, amie de Grégoire Sarel. Elle est un perosnnage du Retour du père proscrit, délice de coke fort de café, une des histoires composant 7 Nouvelles pimentées,
http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/article-nouveaute-recueil-de-nouvelles-106512895.html
(3) les soupçons d’assassinat formulés par David contre sa marâtre deviendraient de plus en plus forts au fil du temps et parallèlement, la morue formerait avec un amant peu recommandable de nouveaux projets de meurtre ; Quelques scènes dans un autre polar mijoté à ma sauce rédactionnelle
http://sebsarraude.tumblr.com/post/23431276990/chicanes-et-derapages
La cuisine de la morue a toujours été indigeste
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2007/01/22/recette-de-morue.html
Quand les pilotes automobiles s’intéressent à la gastronomie
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2011/09/13/morue-sauce-piquante-au-menu-du-pilote-automobile.html
Une cuisine automobile et gastronomique sympathique au bon vieux temps vintage http://bit.ly/2cMh4XA
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Thierry Le Bras