Renseignez-vous bien sur la composition du menu avant de commander…
Comme chaque année, chers amis, je vous invite à déguster un petit texte mijoté pour célébrer la Fête de la gastronomie. Amateurs de bonne chère, d’humour pimenté et/ou d’automobile, ce menu de lecture en 3 plats vous attend (suite dès demain matin) !
Le premier épisode de ce feuilleton culinaire est raconté dans la note précédente :
Philippe, le narrateur de l’histoire, a croqué la vie à pleines dents. Il éprouve la nostalgie de sa jeunesse, une époque où, avec son inséparable cousin Laurent. ils ont aimé les bolides, les jolies femmes, les bons petits plats, le sport, les vacances au bord de la mer, les musiques tourbillonnantes… Mais ça c’était avant, quand ils mangeaient leur pain blanc. Maintenant, le chef de l’Èlysée sert une soupe à la grimace…
Chronique d’un assassinat annoncé
Tout avait commencé un peu plus tôt, lorsqu’une courge à la tête de tomate farcie avait profité de deux accidents d’hôtel (l’un dans un beau quartier parisien, l’autre à New-York) pour tenter sa chance au plus haut niveau de l’État. Il avait annoncé d’entrée la manière dont il cuisinerait la France.
« Moi président, je combattrai l’inégalité du goût, la première injustice de la société française. Il n’est pas juste qu’avec la même somme d'argent, certains se contentent d’une boite de conserve NORMALE alors que d’autres, parce qu’ils ont reçu le privilège du goût de l’effort, du savoir cuisiner et de la culture gastronomique, se régalent insolemment d’une succulente omelette aux herbes accompagnée de délicieuses petites pommes de terre sautées, des patates de leur terroir, des patates différentes d’une région à l’autre. Moi président de la République, je ne supporterai pas cette arrogance des privilégiés du palais, des riches en facultés gustatives, vis-à-vis des plus pauvres en traditions culinaires.
Moi président, je veux une société alignée sur la plus mauvaise des cuisines. Moi président, je vous promets une société sans odeur et sans saveur. Moi président, je mettrai en place une société où aucun parfum de pintade rôtie ne viendra exciter votre appétit au moment où vous ouvrirez une boite de raviolis normaux. Moi président, je n’ambitionne pas que les Français mangent à leur faim. Mais ce que je vous promets, c’est que les autres ne prendront pas plus de plaisir à table que vous. Je ne le permettrai pas. Je prendrai toutes les mesures nécessaires afin que la gastronomie disparaisse, que les bons petits plats soient définitivement éradiqués, que personne ne prenne plus de plaisir à manger.
« Moi président, je préparerai un menu spécial pour les vieux. Je l’appellerai la portion congrue. Ils n’auront plus le droit qu’à un bol de bouillie par jour. Ils n’ont pas besoin de plus, de toute façon ils n’ont plus de dents pour mâcher, alors… Elle est bien épicée ma blagounette, non ?
"Moi président, je combattrai aussi l’automobile. Moi président, je ne tolérerai plus que des Français roulent avec des cabriolets, d’autres avec des breaks, d’autres avec des berlines. Moi président, je ne tolérerai plus qu’un modèle unique d’automobiles en France. Ce ne sera pas la 2cv, non, car c’est un modèle subversif. Cette voiture a ses adorateurs et on n’adore que le Parti Sectaire (PS) qui m’a donné son investiture. Ce ne sera pas la DS, une voiture de riches, ni la R8, trop nerveuse, ni la 4L, trop joyeuse, ni la Simca 1000, trop sympa, ni la Panhard PL 17, trop originale, ni la 404, trop bourgeoise… Non, moi président, j’obtiendrai de l’Allemagne, celle de l’Est, celle dont j’aime le mode de vie sans luxe ni tentations, qu’elle nous livre les plans de la Trabant. J’exigerai ensuite de notre industrie automobile qu’elle ne fabrique plus qu’un seul modèle de voitures, des Trabant, toutes grises, avec une garniture intérieure rose, et des parechocs verts, des Trabant toutes pareilles, NORMALES, sans aucune option qui les distingue. Moi président, je ferai retirer de la circulation les voitures qui existent aujourd’hui. Moi président, je ne vous garantis pas que vous aurez votre Trabant française avant plusieurs années, que vous aurez des pièces pour la réparer, de l’essence à mettre dans son réservoir, des parkings où la garer. Mais moi président, je vous promets que personne n’aura une voiture plus belle que la vôtre, que personne ne vous doublera plus parce qu’il conduit mieux que vous ou qu’il a acheté un modèle plus puissant. Moi président, je vous promets l’égalité automobile dans la normalité, dans la médiocrité.
Oui, je vous promets de tenir mes engagements, car moi président, je vous garantis que ma priorité sera de combattre la cuisine et l’automobile qui sont les mamelles d’inégalité de notre société. Dans votre cuisine, avant, il y a un fait tout. Mais ça, c’était avant. A la tête de l’État, le changement c’est maintenant. Il y aura un gros Fait rien, rien sauf tout prendre à ceux que vous n’aimez pas, que vous enviez, qui ont quelques sous plus que vous. Je m’y engage et je ferai ce que j’ai dit, soyez en sûrs.
Un nouvel appétit de vivre ?
- Pourquoi tant de rage contre l’automobile et la cuisine alors que vous ne parlez ni des actions en bourse ni des biens immobiliers, ni des comptes secrets et que vous coptez dans votre entourage un spécialiste des Caïmans, s’était étonné un des collaborateurs du parti sectaire ? Est-ce pour nous protéger, nous qui avons engrangé du blé et le stockons dans des paradis fiscaux ?
- Ne vous inquiétez-pas, avait ricané le candidat. Les Français, je leur piquerai tout, à tous, aux plus riches comme aux plus pauvres. Je dévorerai ce qu’ils possèdent. Je réduirai les classes moyennes aux petits oignons. J’ai une recette pour ça et une idéologie finale qui dépasse nos frontières. Mais ces cons de Français, ils se gavent de la jalousie du voisin. Ils vomissent sur sa bagnole et ils salivent sur ce qu’il a dans son filet à provisions. Il suffit de leur dire que je vais saler la note fiscale de leur voisin et le rôtir encore plus qu’eux et ils voteront pour moi comme un seul homme Ils savent que je vais leur retirer le pain de la bouche jusqu’à les mettre sur la paille, mais ils s’en foutent du moment que je tonde leur voisin comme un œuf. J’ai compris les Français. Ne vous en faites pas. Quand j’en aurai fini avec eux, ils n’auront plus un radis à se mettre sous la dent. Il n’y aura plus de blé en France. Mais les Français accepteront tout, ils me plébisciteront du moment que je fais du mal à celui qui a dix centimes de plus qu’eux dans la fouille. Les Français sont des veaux, De Gaulle l’a analysé depuis longtemps. Ils avaleront goulument mes salades. Ils iront à l’abattoir en courant sans se douter que je vais les dépecer sans anesthésie et que mon objectif n’est ni leur appétit de bonheur ni leur soif de bien-être. Oh non…
Le programme du candidat sectaire n’ouvrait pas l’appétit. Il promettait de mettre les Français au pain sec et à l’eau. Car bien sûr, les vins et spiritueux étaient à la même sauce que les aliments solides, autrement dit normalisés, banalisés, réduits à la médiocrité. Malgré les supplications de son camp, terrifié par cette attaque contre un peuple connu pour son goût de l’alcool, le candidat avait refusé de mettre de l’eau dans son vin. Au début, un des poids lourds de son parti s’était gaussé en se tapant sur les cuisses. « Ce flan président, on croit rêver… ». Ses autres « amis » avaient surnommé le candidat « Flan aux framboises » à cause de son teint et de son air un peu simplet.
Le candidat avait tenu bon, concédant tout de même l’eau de vie sans parfum particulier, histoire de convaincre une copine du Nord qui carburait aux alcools forts et bafouillait tant qu’elle n’avait pas chauffé le four avec une bonne dose. Il s’était inspiré de son modèle, un type foncièrement proche de lui dont la recette tenait en quelques mots, taper sur le cul des vaches avec un air sympa.
Le grand Corrézien détestait l’automobile. A un salon de l’auto, il avait exigé que les voitures sportives soient sous bâches lors de sa visite. Le programme autophobe du candidat le ravissait. Il l’avait soutenu sans réserve après avoir obtenu une inflexion sur un aliment et une boisson alcoolisée. Dans son dernier meeting, le candidat avait annoncé que, lui président, il tolérerait deux nouvelles exceptions à l’éradication du goût, la tête de veau et la Corona. Le Corrézien et ses amis s’étaient rangés derrière le candidat. Mais pas sa femme, dotée, elle, d’un solide bon sens que le Corrézien perdait depuis qu’il jouait contre son camp. Le candidat s’était sournoisement présenté comme le fils spirituel du Corrézien. Il avait caressé le cul des veaux dans le sens du poil. Il leur avait promis ce qui les séduisait le plus, nuire à leurs voisins encore plus qu’à eux. Et ça avait marché, les veaux l’avaient élu, suivant leurs plus bas instincts, ceux de la jalousie, de la mesquinerie, de la haine excitée par l’envie. Tel un capitaine de pédalo, le candidat devenu président avait mis le cap sur le naufrage de la France.
Philippe sentit qu’on lui secouait l’épaule. Il sortit de sa torpeur et ouvrit péniblement les yeux. Une douce odeur de pain grillé et de café frais lui mit l’eau à la bouche.
- Réveille-toi, marmotte, plaisantait son cousin Laurent. Le petit déjeuner est prêt. Je l’ai préparé avec Christina.
Laurent avait l’apparence d’un adolescent. Bronzé par le soleil, vêtu d’un polo rouge et d’un short blanc, il semblait prêt à croquer la vie à pleines dents. Laurent n’était son aîné que de quelques jours. Mais alors, si Laurent avait une quinzaine d’années, il n’était pas lui, Philippe, au bord de la retraite ! Il avait fait un cauchemar.
- Rejoins-nous dehors, lança Laurent en sortant de la caravane avec la cafetière d’une main et une corbeille de pain grillé de l’autre.
Philippe ouvrit le rideau de la vitre au-dessus de sa couchette. L’Alfa avec laquelle ses amis Xavier et Alain étaient venus en Bretagne stationnait tout près. La Mustang de Dany, le fiancé de sa jolie cousine Christina et l’équipier de Xavier dans les épreuves d’endurance aussi. Il se rappelait tout maintenant. Ils étaient en juillet 1967, en vacances au camping de La Guimorais sur la Côte d’Èmeraude. Comme chaque été, ses parents et ceux de Laurent y installaient leurs caravanes. Il dormait dans l’une d’elles avec Laurent. Ils la partageaient avec Xavier et Alain qui étaient plus que des amis, de véritables grands frères. Christina et Dany avaient établi leurs quartiers dans l’autre. Ils passaient une semaine formidable. Le Général De Gaulle était Président de la République et Georges Pompidou Premier ministre. Ils ne voulaient que le bien des Français et œuvraient sans relâche pour les enrichir, pas pour les appauvrir. Mitterrand avait pris sa branlée aux présidentielles de 1965. Il ne reviendrait pas de sitôt. La veille au soir, la petite bande s’était régalée de moules marinières et de far breton au restaurant des Chevrets à côté du camping. Rien de grave en vue. Toute la bande allait rire quand il raconterait son cauchemar. D’ailleurs, quand il arriverait à l’âge de la retraite, il n’y aurait plus de 2cv, plus de Trabant, et personne n’aurait plus l’idée de mettre la population au régime sec ni de l’écraser d’impôts…
En fond sonore, le transistor Philips diffusait « Le soleil », chanson interprétée avec volupté par Brigitte Bardot, celle auprès de qui l'amère mademoiselle Monroe avait l'air d'un homme. Le soleil brillait. Ils passaient une semaine de vacances magnifique. Dans quelques jours, ils partiraient tous à la Course de côte du Mont-Dore. Xavier et Dany, pilotes automobiles professionnels, s’y alignaient. Le premier sur une Porsche 906, le second sur une Formule 3. La vie était belle ! Philippe sortit du sac de couchage, enfila un short et un polo, puis se précipita rejoindre les autres.
A suivre…
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Vous pouvez également me retrouver sur http://circuitmortel.com , https://gotmdm.com/driver/ et http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/
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Le clin d'œil vintage du jour : « Le soleil », interprété par Brigitte Bardot, au sommet de la célébrité en 1967 http://bit.ly/1mphDHH
Philippe et Xavier au Rallye de la Baule (des émois inoubliables) http://bit.ly/1fWbM7x
Une cuisine pas si festive, préparée avec soin, mais sans amour, alors… http://bit.ly/1juLvyH
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Thierry Le Bras