“C’est une énorme expérience de la vie, se souvient Christian Rio, pilote officiel Citroën de 1982 à 1984. Ça apprend à être tenace, à avoir des ambitions. »
« Des gens qui savent conduire, poursuit le pilote. Il y en a beaucoup, et ce qui fait la différence, c’est certainement le travail et la ténacité, même s’il reste des paramètres qu’on ne maîtrise pas, c’est à dire la chance ou la réussite. On apprend aussi l’humilité. Il y a des périodes fastes et des périodes moins fastes. Il faut savoir garder la tête sur les épaules. Ça m’a beaucoup servi avec le recul. Ce fut une expérience extraordinaire. On vivait notre passion, ce qui était fabuleux. J’en ai aussi retiré des moments très riches au niveau des contacts humains. Même si nerveusement c’est dur, car c’est une remise en cause perpétuelle. »
En 1981, Christian Rio est encore un jeune pilote amateur, peu fortuné mais extrêmement doué. Il a commencé la compétition en 1976 et s’est fait remarquer par de nombreuses victoires de catégorie au volant d’une Alfa Roméo 2000 GTV. En 1978, une Renault 5 Alpine groupe 2 remplace l’Alfa, dépassée techniquement par des modèles plus récents. Christian accumulera encore les bonnes performances au volant de la R 5, mais il rêve de devenir professionnel. L’occasion d’accéder à ce statut se présente en 1981 sous la forme d’un challenge organisé par Citroën. Chaque direction régionale sélectionne un candidat sur dossier. L’heureux élu dispute quelques épreuves sur une Visa. Les deux meilleurs concurrents sont engagés par la marque pour la saison 1982. Il s’agit de Christian Rio et Maurice Chomat. « L’objectif était, à un délai de trois ou quatre ans, d’amener des pilotes sélectionnés par le trophée à disputer le championnat du monde sur une auto Citroën compétitive », rapporte Christian Rio.
Profession, pilote
Les deux pilotes Citroën disposent de Visa groupe B. « Le moins qu’on puisse dire est que la Visa n’offrait pas un look sportif, raconte Christian. Mais elle étonna tout le monde par ses performances. » A cette époque, les Porsche 911, Audi Quattro et R 5 Turbo constituaient l’arme absolue pour gagner un rallye. Avec son moteur 1219 cm3 développant 115 chevaux, la Visa ressemblait davantage à David qu’à Goliath. Grâce à ses qualités routières, elle permit cependant à ses pilotes de réaliser de belles performances, surtout sur la terre.
« La Visa m’a fait découvrir la terre, dit Christian. Au début, tu as l’impression que tu vas détruire l’auto. Les roues motrices patinent tout le temps et projettent des cailloux sur le plancher. A côté de ça, tu as un énorme plaisir de glisse. C’est vraiment fantastique. » A son volant, Christian réalise un début de saison fabuleux. Quatrième scratch au Touraine (les photos illustrant ce texte paru en 2000 dans le magazine Citropolis de Fabien Sabatès ont été prises par mes soins pendant cette épreuve), troisième aux Garrigues, vainqueur à chaque fois de sa catégorie. Il se retrouve deuxième du Championnat de France. Une place inespérée. Une sortie de route en Corse suspend cette série de performances. Les rallyes et les séances d’essais se succèdent à un rythme infernal. L’équipe prépare activement les saisons suivantes, en championnat du monde.
En 1983 et 1984, les Visa entrent dans la cour des grands et participent aux épreuves les plus mythiques. Guy Verrier, le responsable du service compétition, poursuit un objectif : parfaire la fiabilité des voitures et rallier l’arrivée à chaque course. Les pilotes apprennent et finissent souvent dans les dix premiers malgré le handicap de puissance de leurs voitures. « On était dans le coup, se souvient Christian Rio. On côtoyait Vatanen, Michèle Mouton, Toïvonen, Alen, Mikkolä. C’était dur de comparer les temps qu’on faisait par rapport à eux car ils avaient des voitures de 400 chevaux. Mais je me sentais tout à fait capable de ne pas être ridicule face à ces gens-là. » Dans ce contexte d’enthousiasme, les pilotes aspiraient secrètement à devenir un jour champions du monde.
Christian conserve des souvenirs extraordinaires de cette époque. « Au Kenya par exemple, c’était le dépaysement total. Ce ne sont pas vraiment des épreuves spéciales. Les routes ne sont pas fermées. On ne met pas de combinaison parce qu’il fait trop chaud. Le principe, c’est de rallier deux points. Les organisateurs calculent un temps assez difficile à réaliser. Celui qui gagne, c’est celui qui sera le moins pénalisé. Je me souviens d’une anecdote particulière. On prend le départ de l’épreuve. Rapidement, l’auto bouge et l’arrière s’affaisse. Une roue s’était dévissée. Elle est partie dans la brousse. Me voilà sur trois roues. Il faisait nuit. On a appelé l’assistance. Nous sommes repartis. Quelques kilomètres plus tard, nous avons vu deux lionnes traverser tranquillement la piste devant nous. Dans notre petite auto en plastique, c’était un peu impressionnant. Parfois, nous apercevions aussi des girafes et des éléphants. »
Avec les rois du championnat du monde
Changement de décor au Rallye des 1000 lacs en Finlande. « C’était quelque chose de fantastique. Il y avait des spéciales sur des routes départementales sur terre, avec une largeur assez conséquente, tout en trajectoires, et à grande vitesse puisque les moyennes dépassaient cent kilomètres heure. Contrairement aux idées reçues, on ne décollait pas sur toutes les bosses. Il fallait même décoller le moins possible pour être vraiment efficaces. »
Autre temps fort, le RAC en Grande Bretagne. Ce rallye se déroule sur des chemins de terre au milieu de parcs et forêts sans reconnaissances préalables. « J’adore les lumières du RAC. C’est en fin de saison, au mois de novembre. La nature est magnifique. Le parcours secret, c’est quelque chose de fabuleux et physiquement, c’est vraiment très dur. » Au RAC, les pilotes affrontent toutes sortes de conditions météorologiques. « Je venais de prendre le départ d’une spéciale, relate Christian. Je montais les vitesses normalement. Il me semblait que mon embrayage était fatigué. Il patinait. Je me concentrais là-dessus. On arrive dans un virage serré. Je sentais que ça patinait toujours à l’accélération. Puis on arrive dans une portion assez rapide. Je freine à l’approche d’un virage plus serré. Les quatre roues bloquent. Il y avait du givre sur la terre… Le freinage fut tangent. On rencontrait vraiment tout au RAC… »
Cruelle déception
Sa carrière professionnelle en rallye, Christian Rio l’aurait bien prolongée au plus haut niveau. Aux dires de tous les observateurs, il possédait toutes les qualités pour réussir ce challenge. Mais la course ne sera jamais une science exacte. En outre, ce sport nécessite un support coûteux : une voiture compétitive. Christian et son compère Maurice Chomat pensaient bien disposer de cette arme avec la BX groupe B que Citroën mettait au point. En novembre 1984, Guy Verrier les prévint qu’en raison du retard pris dans la préparation de la BX, ils seraient libres de tout engagement en 1985. Il était trop tard pour trouver un autre volant pour la saison suivante.
Christian Rio quitta la course automobile et constitua une société de vente de pièces détachées d’occasion au Rheu, près de Rennes. Il revint à la compétition en Rallycross avec une Alfa Roméo 75 Turbo en 1990, mais sans s’écarter de l’exploitation de son entreprise. Le service compétition d’Alfa Roméo était alors dirigé par une autre pointure du monde des rallyes, Jacques Panciatici. Quant à la fameuse BX groupe B, elle débuta en compétition en 1986 entre les mains de Jean-Claude Andruet et Philippe Wambergue. Les résultats furent si décevants que Citroën abandonna le championnat du monde des rallyes avant la mi-saison.
Thierry Le Bras