Voyage dans le temps, flash-back au cœur des sixties
Cette correspondance n’a jamais été envoyée. Pas dans notre univers temporaire terrestre en tout cas. Elle aurait pu l’être à un pote parisien quand j’étais encore à l’école primaire, déjà la tête dans les rêves de vitesse sur quatre (ou deux) roues.
Fiction ? Plutôt docufiction. Car les voitures mentionnées roulaient dans nos villes et dans nos campagnes à cette époque. En outre, les envies de courir un jour relèvent du souvenir plus que de la fiction. Les échanges avec des bons copains à ce sujet aussi. Nous faisions partie de la génération automobile. Nous avons été trois élèves de la classe de CM2 à laquelle j‘appartenais à courir à la fin des années 70. Peut-être davantage d’ailleurs, car je ne suis pas resté en contact avec tous mes anciens condisciples et il n’est pas impossible que certains aient roulé dans des disciplines que je suivais peu, ou dans d’autres régions.
Cette correspondance reconstituée aurait pu être adressée ou reçue par beaucoup de garçons de ma génération. Le prénom que j’ai choisi est quant à lui imaginaire, assez rare, et ne correspond à aucun de mes amis d’enfance. Plusieurs pourraient se reconnaître.
Salut Fabian,
Je t’écris quelques lignes à l’heure où la rentrée des classes approche à grands pas. Dernière année en primaire pour moi. Si tout va bien, l’année prochaine, j’irai au collège, comme toi. J’ai beaucoup de choses à te raconter, bien plus que je n’ai pu résumer sur les cartes postales en août. Il paraît que e suis bavard. Tu le sais déjà. Nous avons passé tellement d’heures à discuter au camping, à la plage, pendant les balades auxquelles nos parents respectifs nous ont amenés en juillet.
Je joins quelques photos prises cet été. La R8 de mon père, tu la connais et tu es même monté dedans. Les autres voitures, je les ai vues en août quand nous sommes allés une semaine à Saint-Malo en passant par Rennes. Je ne m’y sens pas aussi bien qu’à Larmor-Plage, à Etel ou à Carnac, mais c’était sympa quand même. Mon père me laisse facilement utiliser son appareil tant que je ne fais qu’une photo de chaque voiture (j’ai intérêt à ne pas la rater). La Caravelle n’est pas rare. J’en vois souvent, surtout quand je suis avec les parents lorsqu’ils font le plein d’essence de la R8 à la station du garage Renault. Je me demande si la Cobra appartenait à un vrai pilote. Peut-être un gars en reconnaissance du Tour Auto ?
Ne rigole pas. Je viens de commencer à écrire un roman sur un cahier de brouillon. Une histoire comme j’aimerais en trouver dans la Bibliothèque verte. Des jeunes voudraient se lancer dans la course automobile. A défaut d’avoir l’argent pour s’acheter une Cobra ou une Ford GT40, ils décident de fabriquer une auto destinée à devenir la plus formidable des GT françaises. Quand ils auront démontré son potentiel en course, ils la fabriqueront en série et gagneront assez d’argent pour fabriquer des prototypes capables de battre Ferrari au Mans ainsi que des F1. Ces jeunes, ça pourrait être nous et nos meilleurs copains dans quelques années. Mon père dit que tout est possible quand on le veut vraiment et qu’on travaille bien à l’école. Je vais faire des efforts en maths cette année. Indispensable si je veux devenir ingénieur automobile en même temps que pilote comme Mike Parkes. Je ne parlerai pas de tout ça à l’école. La plupart seraient jaloux et ne comprendraient pas. Au mieux ils se moqueraient, au pire ils se ligueraient contre moi, m’excluraient des jeux à la récré ou me casseraient la gueule à plusieurs.
Je n’en parle même plus aux parents. Je croyais que mon père, qui ne rate jamais un reportage de Tommy Franklin, m’encouragerait. Ben non. Il dit que j’ai bien le temps de penser à écrire, que beaucoup de gens ne sont jamais publiés, que je ferais mieux de jouer au ballon avec mes copains tant que je n’ai pas de vrais soucis d’adulte. Ma mère lève les yeux au ciel en priant pour que je n’attrape pas la grosse tête si par miracle mon histoire est publiée quelque part. Ils n’ont pas envie que je grandisse. Ils ont l’air de croire que je vais rester à la petite école pour toujours et que je ne pense pas à autre chose qu’au goûter avec du Banania et des gâteaux secs le jeudi après-midi. Mais moi, j’ai hâte d’être grand, de conduire, de devenir pilote, de faire Le Mans, le Monte-Carlo, Indianapolis. A la maison, je vois que ça les énerve. Il n’y a que le chien qui m’écoute. Tant pis pour eux. Ils verront plus tard que j’avais raison. Quand on parle de Banania, j’ai vu un de leurs attelages à Saint-Malo. J’aime bien les voitures et les caravanes publicitaires.
J’espère que ton père avance dans son projet de se mettre à son compte comme routier plutôt que continuer à travailler pour un patron. J’imagine qu’avec l’achat du camion, le renouvellement de la 2cv n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais s’il s’offre bientôt la DS dont il parlait avec envie à l’apéritif avec mes parents au camping, ce serait bien qu’elle ressemble à celle-ci. Et aussi qu’il nous amène faire un tour !
Mon père parle souvent de changer sa R8. Il va sans doute se laisser tenter par une Ford Taunus 12M. Moi, j’aurais préféré une Cortina, parce que comme ça, nous aurions une voiture qui ressemble aux versions Lotus que je vois dans le Cahier central de L’Automobile, les pages qui parlent de course. Mais mes parents préfèrent la Taunus et comme ce n’est pas mon argent de poche qui payera la voiture, il n’y aura pas de Cortina à la maison. Ou au 1/43ème, de chez Dinky, Norev, ou Solido. En attendant, ils m’ont laissé conduire la R8 dans des chemins de dunes du côté de Plouhinec et du Magouër. Pour de vrai, plus sur les genoux, comme toi avec la BMW 700 de ta grand-mère quand ton papy la prend pour t’apprendre à conduire.
Mes parents comptent bien donner suite à l’invitation des tiens à Paris. Au moment des vacances de Noël peut-être. J’ai hâte d’y être. Je compte sur toi pour tenir la promesse de m’amener dans les beaux quartiers où il y a des voitures de sport, Lotus, Alfa Romeo, Porsche, Mercedes et autres.
Iras-tu comme prévu au salon de l’auto avec ton père et aux 1000 kilomètres de Paris à Montlhéry avec ton grand-père ? Tu as une sacrée chance que ton papy habite près du circuit. Cela te permet de voir les champions en action. J’attends de voir les photos avec impatience. Un jour, nous gagnerons là-bas, comme les frères Ricardo et Pedro Rodriguez. Car au fond, même si j‘ai plaisanté tout l’été en racontant que tu étais fait pour être coureur cycliste et que c’est moi qui deviendrai pilote, je sais bien que nous serons pilotes tous les deux. Tu aimes autant la vitesse et les voitures que moi. Et comme tu es l’ainé, je suivrai ta voie, je t’accompagnerai à moto, je serai ton équipier en rallye, et après, quand je pourrai piloter à mon tour, nous gagerons des courses d’endurance ensemble.
Envoie-moi des photos si tu peux. J’ai envie de voir la nouvelle Porsche 911, la Ford Mustang, la R8 Gordini et tout ce qui roule à Montlhéry. Bien sûr, elles sont dans les magazines, mais des vraies photos que je pourrais montrer ici à ceux en qui j’ai confiance, en disant que c’est un ami de Paris qui les a faites, ce sera encore mieux. ...
Les années ont passé. Les rêves d’enfance se réalisent rarement. De toute façon, le futur ne se déroule jamais comme prévu. Pas forcément mieux ou moins bien, mais différemment. La passion de l’automobile est restée totale. Comme je le pressentais dès l’enfance, elle m’a permis de nouer de belles amitiés, de piloter, de réaliser des tas de photos, d’écrire des récits et fictions, de témoigner... Elle n’est pas près de s’arrêter.
La réponse sera mise en ligne à l’Automne. Avec des photos de voitures qui couraient à Montlhéry à cette époque et d’autres qui circulaient plus souvent dans les beaux quartiers de Paris que dans les villes moyennes de province.
* Copyright inconnu pour l'image d’adolescents sur une moto trouvée au hasard de Facebook. Mais elle traduit tellement l’atmosphère Vintage de cette époque que je n’ai pas pu résister au plaisir de la poster.
QUELQUES LIENS
Rouler cheveux au vent avec des véhicules des années 60 http://bit.ly/2tRhG4y
Le blouson vert de Ronnie dont le premier héros d’enfance fut Mike Hawthorn http://bit.ly/2pXbeKh
1964, le mage qui manqua de battre Anquetil au Tour de France http://bit.ly/2vsp7DA
1967, une moto, une Ford Taunus, une DS, et des jaloux http://bit.ly/2oDlE0I
Le journal de Tintin, notre bible à l’époque, publiait les aventures de Jari http://bit.ly/2bYa2io
Le club des cinq, des films en plus des romans http://bit.ly/2wkVuSz
Thierry Le Bras