Dans les deux notes précédentes, j’ai raconté des week-ends agités à la course de côte de Saint-Gouëno 1977 et au Rallye d’Armor 1979. Changement de décor et d’ambiance à Neuvy le Roy la semaine suivant Saint-Gouëno en 1977. Cette épreuve se déroula sous les meilleurs auspices, de la première montée d’essai à la dernière montée de course. Comme le dit Olivier Panis, « en course automobile, un week-end qui commence bien continue souvent dans de bonnes conditions, tandis qu’un week-end qui commence mal se poursuit souvent par des problèmes ».
Neuvy le Roy, c’est en Indre et Loire, à vingt-cinq kilomètres de Tours. J’aurai donc moins de supporters qu’à Saint-Gouëno, proche de mes bases rennaises et malouines. D’autant qu’une semaine plus tard, ce sera la course de côte de Montreuil sous Pérouse, tout près de Vitré, et que des amis rennais et malouins ont prévu de venir. Nous partons le vendredi soir. Guenael, son épouse Armelle et Hervé m’accompagnent. Nous embarquons tous dans l’Ascona SR - toujours vaillante après ses expériences en compétition l’année précédente - avec la Golf GTI sur le plateau derrière. Le matériel de camping et les bagages ont trouvé place dans la Golf, ce qui permet d’équilibrer les masses et de ne pas mettre trop de poids sur la flèche. Lors des longs parcours avec plateau, Guenael et moi avons coutume de nous relayer au volant. Nous avons tous les deux passé notre permis E qui nous autorise à tracter un autre véhicule immatriculé de plus de750 kg selon la législation alors en vigueur. Nous nous arrêtons dîner sur le pouce dans un routier. Il fait nuit lorsque nous arrivons à Neuvy le Roy. Nous montons donc les tentes à la lumière des phares de l’Ascona avant de partir en reconnaissance de ce tracé que je ne connais pas encore.
Neuvy le Roy est une piste rapide avec une longue descente. En 1976, un pilote a trouvé la mort à cette course. Il pilotait une Fiat 128 groupe 2. Les organisateurs ne sont pas en cause. Quelles que soient les précautions prises, la course automobile comportera toujours des risques. Celui qui pratique ce sport les accepte. L’accident de 1976 était dû à un problème de fixation de l’extincteur. Celui de la voiture du malheureux pilote s’est détaché lors du choc. C’est ce qui a causé la blessure mortelle. Depuis, les commissaires techniques sont plus rigoureux sur la fixation des extincteurs lors des vérifications. Et une chicane a été mise en place dans la première ligne droite afin de ralentir les voitures avant les virages de la descente.
Tout le monde m’accompagne lors de mes montées de reconnaissance que j’effectue à un rythme de plus en plus soutenu. Ce tracé me plait. Je m’y sens à l’aise. Je suis satisfait lorsque, estimant avoir suffisamment appris pour ce soir, je gare l’Ascona SR auprès du campement et que nous allons nous coucher. Nous ne sommes qu’en septembre, mais il fait déjà frais. Nous nous en rendrons surtout compte le lendemain matin au moment de sortir des sacs de couchage.
Le samedi est consacré aux vérifications et à une séance d’essais non chronométrés. Quoiqu’ils n’établissent aucune hiérarchie, ils valident la connaissance du circuit et le comportement de l’auto. J’ai remarqué un large bas-côté plein d’herbe à l’intérieur d’un virage au haut du circuit. Je me dis que s’il est possible de rouler dessus, j’améliorerai sensiblement la vitesse de passage dans cette courbe, ce qui signifie un gain de temps que j’évalue à un ou deux dixièmes de seconde. Le soir, nous allons donc subrepticement vérifier si le bas-côté est propre, s’il n’y a ni trou, ni bosse, ni pierre susceptibles de déséquilibrer l’auto ou de causer une crevaison. Puis, après une séance de « jardinage » jugée satisfaisante, nous allons tranquillement dîner au restaurant. Car, comme je l’ai déjà mentionné dans plusieurs notes, les gentlemen-drivers sont généralement des amateurs de bonne cuisine. J’ai d’ailleurs intégré cette dimension des pilotes amateurs à mon prochain roman, un polar vintage, automobile et gourmand qui se déroule en 1966 sur fond de meurtres et d’arnaques. A dire vrai, David Sarel, l’avocat-pilote lorientais héros récurrent de mes romans contemporains, est aussi un fin gourmet dont le goût pour le foie gras, la côte de bœuf saignante sauce poivre accompagnée d’un Saumur Champigny à température et le Général (Colonel servi avec un galon de vodka de plus, ce qui le promeut au grade supérieur en offrant des étoiles à celui qui s’y attaque) sont bien connus des lecteurs de ses aventures.
Le dimanche matin, ce sont les essais chronométrés. Je décide de ne pas utiliser ma botte secrète qui consiste à plonger largement dans l’accotement d’une courbe rapide pour la couper. Je la conserve pour la course, histoire de ne pas la divulguer à mes adversaires. Tout se passe bien. Je suis en tête de la catégorie et bien placé au groupe. Le pilote d’une Ford Escort 2000 RS jette l’éponge. Il ne cherche pas de fausses excuses. Il n’en a pas besoin. C’est un pilote rapide et un homme estimé et apprécié de tout le milieu. Il trouve le circuit dangereux. Il ne le sent pas. Il remet sa voiture sur plateau et rentre chez lui. Nous pensons que le souvenir de l’accident de l’année précédente est trop présent de sa mémoire. Nous comprenons tous sa décision. C’est un pilote amateur qui court pour le plaisir bien qu’il fasse partie des meilleurs de sa catégorie. Si le plaisir n’est pas là aujourd’hui, il a raison de ne pas se forcer.
Je déjeune très légèrement les jours de course. Comme la plupart des pilotes. Un peu de viande froide avec de l’eau gazeuse et quelques gâteaux secs me suffisent. L’après-midi commence. Les voitures du groupe 1 se mettent en place, par ordre de numéros. Les Autobianchi, Simca Rallye 2 pour commencer, les autres voitures de la classe 1300 - 1600 cm3 ensuite. Puis les 2 litres et les 3 litres. Je suis le dernier à partir dans la classe 1300 – 1600. Juste devant Thierry Nauleau, le premier à prendre le départ dans la classe des 1600 – 2000 cm3. Thierry vient de racheter l’Alfa Roméo 2000 GTV de Jacques Coquet, une figure des courses dans l’Ouest. C’est le beau-frère de Jacques Letertre, habitué des épreuves de l’Ouest avec une autre Alfa décorée aux couleurs de KB Jardin. Thierry a à peu près mon âge. Nous avons sympathisé dès les essais. Je garde un bon souvenir de ce pilote plusieurs fois revu sur des épreuves de l’Ouest mais perdu de vue depuis. Au moment de prendre le départ de la première montée, nous ne pensons pas à échanger des anecdotes sur notre passion de la course. Je suis casqué et sanglé dans ma Golf GTI, aux ordres du chronométreur qui vient de lancer la voiture qui me précède. Il va m’appeler sur la ligne de départ pour le décompte des 30 secondes. J’ai l’habitude de la procédure. Mais au lieu de me faire signe d’avancer, il croise et écarte les bras, m’ordonnant au contraire de rester sur place. Un commissaire s’approche. J’ouvre la portière. Il me dit que je peux couper le moteur. Une sortie de route vient de se produire. Le directeur de course se rend sur place. Une interruption de plusieurs minutes est à prévoir. Je sors de la voiture et j’enlève mon casque. Thierry Nauleau fait de même. Ces moments sont toujours pénibles. Tout le monde se demande si un copain ne s’est pas fait mal. Surtout ici où l’accident de l’année dernière a rappelé que la course automobile est parfois dangereuse. Je bavarde avec Thierry. Je ne sais plus précisément de quoi. Trente-trois années ont passé depuis. Je crois que nous avons parlé de son Alfa et de nos projets pour la saison suivante.
Les commissaires de course nous rassurent rapidement. La sortie de piste n’est pas grave. Pas de bobo pour le pilote. Il nous invite à nous préparer. La course va bientôt repartir. Nous remettons les cagoules, les casques, les gants, nous remontons dans les autos, attachons les harnais, remettons les moteurs en route. Je suis parfaitement concentré. Je sais contrôler mon émotivité (au moins depuis l’adolescence) et j’ai toujours eu une bonne capacité de concentration. Ça y est. Le décompte commence. Le starter me libère. Je sais ce que j’ai à faire. Je passe la chicane sans perdre de temps. Je franchis chaque virage comme j’avais prévu de le faire, y compris celui où je plonge très largement dans l’accotement. Contrairement à Saint-Gouëno la semaine précédente, tout se passe comme je l’ai voulu. Je m’arrête au parc d’arrivée. J’attends mon temps. Il me convient parfaitement. Premier de ma classe et provisoirement premier de groupe. Les 2 litres et les 3 litres vont arriver. Parmi eux, Jacky Ravenel et sa Commodore… Thierry Nauleau est arrivé. Son temps tombe. Il est derrière moi. C’est sa première course. Il apprend sans prendre de risque excessif. Il a raison. Il possède un potentiel certain. Ce serait dommage de casser l’auto à la première sortie. La seconde montée se déroule très bien aussi. J’améliore un peu mon temps. Finalement, je gagne largement ma classe et je termine 3ème de groupe, derrière la puissante Commodore GSE de Jacky Ravenel, un des rois de la montagne, et la Kadett GTE de Parenthoen qui est aussi dans une classe de cylindrée supérieure. Je me dis qu’en prenant plus de risques, j’aurais peut-être pu aller chercher Parenthoen, mais il ne faut pas oublier que le mieux est l’ennemi du bien.
A la remise des prix, nous échangeons quelques plaisanteries avec Christian Debias, vainqueur au scratch avec sa Ralt F2. Christian est fortement enrhumé. Il raconte qu’au départ d’une des montées, il a éternué dans son casque et que pendant quelques secondes, il ne voyait plus grand-chose. Ça ne l’a pas empêché « d’enrhumer » ses adversaires. ! Quelques semaines plus tard, j’aurai la bonne surprise de trouver ma voiture en photo dans Slick, juste au-dessus de l’Alpine groupe 5 d’Hervé Poulain dont j’ai évoqué une des participations aux 24 Heures du Mans dans une note récente.
(cf. dans la liste des notes récentes, colonne de droite, celle intultée « LA BMW STELLA AUX 24 HEURES DU MANS)
En fait, Guénael et Hervé ont rencontré un des journalistes de Slick au Mont-Dore. Il les a convaincus de mettre une pub pour le magazine sur la Golf. J’avoue avoir un peu hésité car je redoutais que cela me prive de retombées dans Échappement. Ceci dit, j’ai déjà eu les honneurs d’Échappement après ma première victoire de classe à Saint-Germain sur Ille (cf. les liens vers des articles en archive dans la note précédente). Puis j’ai accepté, trouvant le mag Slick sympathique et proche des pilotes amateurs. Slick nous a renvoyé l’ascenseur en mentionnant mon résultat à Neuvy-le-Roy. Je découvrirai l’article dans des circonstances moins jouissives que la remise des prix. Car le 1er octobre 1977 marque pour moi le départ au Service national. Pour les classes, je suis incorporé au 38ème RIT de Laval avant de rejoindre l’ESEAT à Cesson Sévigné. Et c’est un soir au foyer de la caserne à Laval que je découvre le dernier numéro de Slick au rayon presse. C’est pendant la première quinzaine des classes, celle où nous sommes bloqués au quartier. J’achète le mag et j’ai le plaisir d’y trouver ma photo. Un article qui augmente ma notoriété auprès de mes camarades de chambrée dont certains pensent peut-être que j’ai frimé et que j’en ai rajouté en évoquant ma passion de la course auto.
Entre Neuvy le Roy et l’incorporation, il restait deux courses, Montreuil sous Pérouse et Saumur. Deux victoires de classe dont je reparlerai un de ces jours.
Vous pouvez également me retrouver sur http://circuitmortel.com , https://gotmdm.com/driver/ et http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/
QUELQUES LIENS VERS D’AUTRES SOUVENIRS (outre les deux notes précédentes) :
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2010/01/04/les-spectateurs-sont-sympas.html
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2010/02/19/une-pige-a-trappes.html
ET VERS LA PRÉSENTATION SUR D’AUTRES SITES D’UN DE MES ROMANS POLICIERS DANS L’UNIVERS DU SPORT AUTOMOBILE :
http://www.leblogauto.com/2006/10/roman-de-course.html
Thierry Le Bras