La Montréal restera sans doute une des plus belles voitures fabriquées par Alfa Roméo. Elle fut conçue et produite à une des périodes les plus flamboyantes de la marque au trèfle. C’étaient les années du virus Alfa, des chevaux de feu, des coupés Bertone, celles où des grands pilotes de la trempe de Gérard Larrousse apportaient de belles victoires aux modèles de série Alfa, par exemple la première place en groupe 1 au Monte-Carlo 1973.
Je me souviens très bien de la première Montréal que j’ai vue. C’était en 1973 à la concession Alfa Roméo de ma ville dont mon père était client car il venait d’acheter un coupé 2000 GTV Bertone.
La Montréal s’attaquait à un défi ambitieux. Beaucoup plus chère que les 2000 GTV, elle allait de par son prix et sa puissance jouer sur le terrain des Porsche 911.
Malgré ses qualités, un moteur noble et un design magnifique, elle dut composer avec quelques handicaps de poids :
- un moteur très délicat à régler ;
- une quasi absence de palmarès en compétition ; car si la Montréal fit la première page d’un album de Michel Vaillant aux mains de Roy Johnson, un ami des Vaillant apparu dans le 8ème pilote, les amateurs de rallye, de courses de côtes et d’endurance ne la virent pas se battre contre les Porsche, Alpine, Ferrari Daytona... En outre, Porsche commercialisa en 1973 une version Carrera RS qui plaçait la barre très haut dans les catégories GT ; la Montréal aurait sans doute pu se révéler très performante aussi, notamment grâce à sa base moteur ; mais hélas, Alfa Roméo ne consentit pas les efforts nécessaires pour la développer, lui offrir une fiche d’homologation intéressante, commercialiser à des prix acceptables les pièces homologuées, et encourager des préparateurs et des teams à la lancer dans le grand bain ; pour les passionnés d’Alfa Roméo, signalons que les apparitions de la Montréal en compétition font l’objet d’un sujet sur l’excellent forum Autodiva :
http://www.autodiva.fr/forum/viewtopic.php?f=2&t=607&p=44446
- un contexte automobile catastrophique à la fin de sa carrière ; limitations de vitesse, premier choc pétrolier (avec rumeurs de tickets de rationnement d’essence début 1974), campagnes contre la conduite sportive, voilà l’atmosphère qui allait transformer notre pays en société autophobe demanderesse d’une automobile banalisée et insipide. Tout le contraire de ce qu’offrait avec générosité l’Alfa Montréal.
Ce serait un autre modèle Alfa qui allait connaître le succès commercial à cette période. Un modèle intéressant d’ailleurs, qui défendrait ses chances en compétition. Il s’agissait de la première traction de la marque, une voiture moins chère, produite sur un autre site, l’Alfa Sud.
La Montréal ne fut pas la seule victime du premier choc pétrolier et des tristes mutations de l’automobile. Cette crise porta également le coup de grâce à la Citroën SM qui, bien qu’originale et dotée de nombreuses qualités, ne trouverait jamais son public.
J’ai lu aussi qu’en 1973, Matra songeait à une Bagheera équipée d’un 8 cylindres 2.600 cm3 issu de l’accouplement de deux 1.300 cm3. Le prototype existait et avait été chronométré à 240 km/heure. Sans la crise qui mit fin aux productions de la Montréal et de la SM, aurions-nous vu des Bagheera U8 au Rallye de Monte-Carlo, à la Course de côte du Mont-Dore, au Tour de France auto et dans les compétitions qui accueillaient alors chaque week-end des centaines de pilotes dans tout l’Hexagone ? Personne ne connaîtra jamais la réponse.
Thierry Le Bras