« J’avais une Ford Anglia bleue en 1966, se souvient Alain. Je ne me doutais pas une seconde que quatre décennies plus tard, je retrouverais ma voiture devenue Vintage, ou plutôt un modèle identique, dans des films d’Harry Potter. »
Alain avait vingt et un ans en 1966. Il terminait ses études et s’apprêtait à entrer dans la vie active. Il avait faim de conquêtes dans tous les domaines d’une vie qu’il croquait sans même songer au complexe du fruit défendu légué à l’humanité par une Ève goulument tentatrice. L’Anglia était sa deuxième voiture après une Fiat 600.
« L’automobile faisait partie de notre vie, raconte Alain. Nous jouissions du goût de liberté qu’elle nous offrait généreusement sans nous inquiéter de crise pétrolière, de pollution, de sécurité routière. C’est bon de ne pas connaître les dangers. Comme en matière de cuisine. Les cuisiniers sont des sorciers, à l’instar d’ Harry Potter. Les bons petits plats trop riches en glucides et en lipides font parfois grossir. Ils donnent peut-être du cholestérol. Mais quand on est jeune, insouciant, on n’y pense pas. On profite pleinement des saveurs d’un filet de bœuf saignant accompagné de frites et de sauce béarnaise. Un plat peu diététique ? Sans doute, mais on n’en fait pas un fromage. »
« L’Anglia n’était pas le modèle le plus fréquent en France, loin s’en faut, témoigne Alain. Les habitants de nos villes et de nos campagnes faisaient plutôt leur marché chez Peugeot, Citroën ou Renault.
« Un Français achetant une Ford fabriquée en Angleterre, c’était comparable au choix osé d’un Anglais commandant des escargots dans une auberge de Bourgogne. »
« Cette année-là, France Gall chantait Les sucettes, poursuit Alain. Annie, aimait les sucettes, les sucettes à l’anis. Les sucettes à l’anis d’Annie donnaient à ses baisers un goût anisé… La jeune chanteuse n’avait pas compris le deuxième sens des paroles mitonnées par Gainsbourg, celui qui épiçait la chansonnette. Mon père, qui commençait à avoir les cheveux poivre et sel mais restait très jeune d’esprit, trouvait la recette succulente. Ma mère détestait cette cuisine musicale. Quant à ma grand-mère, qui se montrait parfois soupe au lait, elle persifflait qu’oser chanter des choses pareilles, c’était fort de café. Aussi, mon père et moi, nous marchions sur des œufs quand nous évoquions France Gall afin d’éviter que maman et mamy ne nous servent une soupe à la grimace. »
« Mon meilleur pote, Xavier, rêvait depuis l’école primaire de devenir pilote professionnel. En 1966, il touchait au but. A l’époque, les pilotes ne se spécialisaient pas dans une seule discipline comme aujourd’hui. Ils faisaient aussi bien de la monoplace que de l’endurance et même du rallye. Surtout les jeunes. Ma qualité d’ami d’enfance me valut donc souvent de me retrouver dans le baquet de droite à côté de Xavier. J’aimais bien, d’ailleurs. Bien sûr, dans une voiture de rallye, nous étions secoués comme dans un panier à salade, mais tant que la voiture ne se retournait pas comme une crêpe, c’était sympa. Nos copines du moment faisaient parfois des salades quand nous partions en course. Je me souviens encore des baisers au goût salé d’une des miennes. Mais malgré ça, je l’ai quittée très vite. Elle faisait trop souvent sa tête de lard. Quant à Xav, il s’est débarrassé à temps d’une petite qui, suivant les conseils de sa mère, croyait réussir à le transformer en agneau. Il faut dire qu’elle cuisait très bien l’agneau et qu’elle lui servait toujours la souris. Mais un matin, la moutarde est montée au nez de Xavier. Il a dit à sa copine, je suis obligé de te virer ma souris, mon chat a envie de te transformer en chair à pâtée. C’était vrai, Cooper, le chat de Xav, ne supportait pas cette fille et c’était réciproque. Tous les deux, ils se regardaient toujours en chiens de faïence. »
« Les dieux de la course automobile nous offrirent un menu audacieux et apprécié en 1966, plaisante Alain. La DS 21 de Pauli Toivonen a remporté le Rallye de Monte-Carlo au mois de janvier. La course se termina dans un climat agité. Les organisateurs furent sévèrement critiqués après qu’ils eurent déclassés les Mini, mais on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs n’est-ce pas ? En F1, c’était encore l’époque des artisans. Jack Brabham remporta le titre sur une monoplace dont il était aussi le constructeur. Nous, nous avons terminé tous les rallyes auxquels nous étions engagés sans faire de salade de bielles. »
Le temps fort de la saison 1966, ce fut le week-end des 24 Heures du Mans. Ford avait enfin trouvé la recette pour flamber Ferrari. Après une guerre féroce sur le bitume du Mans, après un suspense digne des scenarii des maîtres de l’angoisse, Enzo Ferrari paya l’addition de ses choix, de la soupe trop amère servie trois ans plus tôt à Henry Ford, des intrigues au préjudice de ses pilotes non latins comme John Surtees. L’anglais n’était pourtant pas un mauvais cheval et il était un remarquable jockey pour le cheval cabré. En 1966, le Commendatore dut se rendre à l’évidence. A la fin de la nuit mancelle, les carottes étaient cuites pour ses voitures. Xav disputant ses premières 24 heures, j’étais forcément présent, conclut Alain. Pour Xavier et pour toute notre bande, ce fut une course… comment dire, saignante et épicée. Heureusement que Xav était déjà un dur à cuire. »
Alain raconte-t-il des souvenirs vécus ou est-il un personnage de fiction ? Qu’importe. J’aime m’inspirer des propos de Serge Dalens rapportés dans la note précédente. Et à ce titre, je suis certain que les personnages de fiction vivent, même si c’est dans un monde parallèle pétillant comme du champagne où ils entrainent les lecteurs de leurs aventures.
NOTE MODIFIEE LE 30 DECEMBRE 2014
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Xavier et Alain sont des personnes de VENGEANCE GLACÈE AU COULIS DE SIXTIES, un polar vintage et gourmand. Cliquez ici pour découvrir l’ouvrage http://amzn.to/1nCwZYd
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Thierry Le Bras