FICTION
Cet été , Éric Trélor, personnage récurrent des Aventures de David Sarel, évoque avec le journaliste Sébastien Ménier des souvenirs de sa carrière de gentleman driver.
Ces jours-ci, Éric raconte Ronnie, un pilote particulièrement attachant qu’il a bien connu. Le lecteur observera que gentleman driver ne signifie pas pilote lent, loin s’en faut, mais seulement pilote qui exerce un autre métier. Car si CIRCUIT MORTEL suit de près un certain nombre de pilotes attachants qui atteignent le plus haut niveau, le blog s’intéresse également aux purs amateurs, ceux qui ne prennent le volant que par passion, sans enjeu de carrière à la clé.
Sébastien Ménier : Peux-tu nous rappeler la raison qui a valu son surnom à Ronnie ?
Éric Trélor : Ronnie se prénommait Ronan en réalité. Mais il était fasciné par Ronnie Peterson, un pilote suédois qui possédait un tempérament d’attaquant. Comme il était blond et costaud comme son pilote favori, Ronan, précédemment appelé Roro, est naturellement devenu Ronnie.
Sébastien Ménier : Raconte nous un peu les débuts de sa carrière de pilote.
Éric Trélor : Ronnie était un copain depuis l’enfance. Il avait un an de plus que moi. Lorsque nous étions gamins, Freddy (1) et moi discutions souvent de nos projets de course auto plus tard. Nous avons passé le virus à Ronnie. A seize ans, mon grand-père Victor l’a fait embaucher comme apprenti dans l’entreprise de carrosserie qu’il avait créée à Lanester. Mon grand-père était en retraite, mais son successeur l’a écouté. Ronnie a commencé à piloter en compétition sept ans plus tard, en 1976, avec un coupé Simca 1200 S engagé en groupe 3. Il est vite devenu un candidat aux victoires de catégorie.
Sébastien Ménier : Quelles étaient les principales qualités de Ronnie en course ?
Éric Trélor : Ronnie n’avait peur de rien. Il avait un cœur énorme comme on dit dans le milieu. En plus, il pilotait de manière très spectaculaire. C’était un attaquant, un freineur, un acrobate. Paradoxalement, c’était aussi son point faible parce qu’il lui est arrivé plusieurs fois de se ralentir et de faire des figures tellement il attaquait. Sans compter quelques grosses sorties de route.
Sébastien Ménier : Pourtant, on a l’impression qu’il n’a pas eu le palmarès auquel il aurait pu prétendre. J’ai l’impression qu’il est resté en retrait par rapport à toi, à Luc Crillon (2), voire à Jacques Dumoulin (3).
Éric Trélor : Ronnie n’a pas toujours fait les meilleurs choix. Après deux saisons avec la 1200 S, il a acheté une énorme Camaro groupe 1 en 1978. Sa voiture épatait le public et faisait le spectacle, mais elle ne pouvait que très rarement lutter contre les Escort RS 2000. Cette année-là, j’ai commencé la saison avec une Opel Kadett GTE 2 litres en attendant l’homologation de la Vivia 1,6 en groupe 3. Ma voiture venait de chez Irmscher en Allemagne. C’était une vraie bombe et elle tenait incroyablement le pavé. Après l’homologation de la Vivia, Freddy et moi avons proposé à Ronnie de lui prêter la Kadett toute la saison. Il n’a pas voulu. Il était convaincu qu’il ferait progresser sa Camaro et qu’elle deviendrait irrésistible en groupe 1. Pourtant, il y avait quelques bons coups à faire avec la Kadett. En début de saison, j’ai remporté deux fois le groupe 1 avec en course de côte à son volant. Sans compter trois victoires de groupe en rallye. Les Escort avaient reçu des solutions moteurs, mais la plupart des préparateurs de l’Ouest n’avaient pas encore trouvé les bons réglages de suspensions. Je me rappelle d’ailleurs que Jacques Dumoulin – passé à l’Escort - et Pierre Sapeur – qui avait conservé la sienne - étaient fous quand je les ai tapés. Ils avaient encore plus hâte que moi de me voir passer en groupe 3 sur la Vivia.
Sébastien Ménier : Comment s’est organisé Ronnie ensuite ?
Éric Trélor : Il a commis une nouvelle erreur. En 1979, je suis passé en groupe 4 avec un coupé Vivia 1,6 développé dans cette catégorie. Nous avons proposé à Ronnie de mettre la groupe 3 à sa disposition. Nous lui passions la voiture et les pièces qu’il voulait. Il s’occupait de la maintenance. Il a refusé. Je crois qu’il a pensé que nous le prenions un peu en pitié. Il nous a dit vouloir y arriver par ses propres moyens. Ronnie était quelque part un écorché vif. Du coup, c’est Luc Crillon qui a récupéré la groupe 3. Il a donné toute satisfaction d’ailleurs.
Sébastien Ménier : Comment Ronnie a-t-il géré sa carrière de pilote ?
Éric Trélor : Il s’est obstiné une saison de plus avec la Camaro, en remportant quelques victoires de classe des voitures de plus de deux litres en groupe 1, mais presque toujours derrière les meilleures 2 litres au groupe à part tout de même deux courses en circuit et trois fois en côte. Après, il a monté une Matra Murena 1,6 groupe 4 avec laquelle il courait dans la même catégorie que moi. Bien sûr, la Matra n’a jamais battu la Vivia. Le développement de la Vivia en groupe 4 était suivi par l’usine alors que sa transformation restait une œuvre artisanale, fût-elle très réussie. Il ne s’en formalisait pas et nos relations amicales n’en souffrirent pas. Mais je sentais qu’il aurait aimé être devant au moins une fois de temps en temps, un peu comme quand il rêvait de battre Luc au scratch deux ans plus tôt.
Sébastien Ménier : Parvint-il d’ailleurs à battre Luc Crillon ?
Éric Trélor : Etonnamment, oui, dans une course de côte régionale près de Vitré en septembre 1977. Là, Ronnie a tapé toutes les Rallye 2, dont celle de Luc qui remporta pourtant la catégorie des moins de 1.300 cm3 en groupe 1. En vérité, Ronnie avait utilisé un subterfuge qu’il a avoué quelques années plus tard. Il a monté un arbre à cames de groupe 2 sur sa voiture. Ainsi, il gagnait quelques chevaux qui ont fait la différence. A la stupéfaction générale, une Simca 1200 S devançait toutes les Rallye 2 ! C’était une première. Luc était stupéfait. Mais il a joué le jeu et il payé une bouffe à Ronnie, pas dans une pizzéria, dans un super resto ! Les courses suivantes, Ronnie a remis sa voiture en conformité et il a terminé à nouveau derrière les meilleures Rallye 2 dont celle de Luc. Ceci dit, en 1978, Ronnie eut au moins la satisfaction avec sa Camaro de terminer toutes les épreuves devant Luc qui était passé à la Rallye 3. Luc faisait moins le fier bien qu’il ait eu l’excuse de piloter une petite cylindrée. Et Ronnie commit beaucoup moins de fautes parce qu’il ne sentait plus la pression de Luc. Après, quand il courait dans la même catégorie que moi, les choses étaient différentes. C’était logique que je le batte compte tenu du matériel dont je disposais. Je ne l’aurais pas provoqué dans des épreuves de force ni en course à pied. Il nageait le crawl plus vite que moi, mais je le dominais au tennis et au ping-pong. Il ne se sentait pas surpassé dans tous les sports comme ça avait été le cas avec Luc. Et nous n’entretenions pas le même rapport de défi permanent.
A suivre …
(1) Freddy Vivien, personnage récurrent des Aventure de David Sarel,. Freddy pilota en F1 de 1977 à 1992 et créateur des Automobiles Vivia avec Éric Trélor
(2) Luc Crilllon, pilote Vivia dans Circuit Mortel à Lohéac et Chicanes et Dérapages de Lorient au Mans
(3) Jacques Dumoulin, pilote amateur d’excellent niveau qui apparaît dans divers scenarii qui se déroulent dans l’univers de David Sarel, notamment Duel au soleil des coteaux mis en ligne la semaine dernière sur ce blog. A noter qu’après sa carrière de pilote, Jacques est devenu chef de stand chez Vivia pour les courses d’endurance.
__
Vous aimez les émotions que procure la course automobile et vous souhaitez les retrouver dans des fictions ?
C’est possible. Découvrez les nouvelles et romans rédigés par Thierry Le Bras qui mettent en scène l’avocat –pilote David Sarel, un personnage au caractère très fort :
- des nouvelles (fictions courtes) sont en ligne dans les archives de ce blog ;
- les romans, pour l’instant « Circuit mortel à Lohéac », « Faits d’enfer à Carnac » et « Chicanes et Dérapages de Lorient au Mans » ont été édités par les Éditions Astoure (diffusées par Breizh).