Objets inanimés, avez-vous donc une âme, écrivit Lamartine ?
Oui, répond cette Vivia 1.600 S née en mille neuf cent soixante-dix huit qui rapporte ici ses souvenirs, ses grandes joies, ses triomphes, ses peines, ses angoisses et sa retraite dorée.
(suite du texte mis en ligne le 28 juin 2006)
Chapitre 5 :
Yannick était coiffeur dans une petite commune du Morbihan. La passion de la course automobile le dévorait depuis longtemps. A l’âge de vingt-cinq ans, il venait de parvenir au stade de la demi-finale d’une école de pilotage.
Il m’acheta en l’état, puis me confia à un ami carrossier qui me désossa et enleva le blackson posé par mon constructeur afin de m’alléger. J’appris que j’étais destinée à la compétition et que j’allais être préparée à cet effet. Mon châssis fut redressé ; je reçus des renforts de caisse, ainsi qu’un arceau cage destiné à assurer la sécurité de mon pilote en cas d’accident et à me rigidifier. Je fus transportée sur plateau chez un garagiste spécialisé dans la préparation des véhicules de compétition.
Là, mon moteur fut démonté entièrement, mon vilebrequin rééquilibré, mes arbres à cames remplacés, ma culasse rectifiée, mon allumage et mon injection réglés avec soin. De nouveaux ensembles ressorts-amortisseurs, une boîte de vitesses dite « montagne », c’est à dire à rapports rapprochés, et un échappement libre complétèrent ma préparation. Yannick vint m’essayer. Il ne voulait désormais m’utiliser qu’en compétition et m’y déplacerait sur une remorque, derrière sa Renault 20.
Je n’oublierai jamais notre première épreuve. C’était une course de côte en Normandie, sur une route très rapide. Avant le départ, Yannick semblait au bord de l’évanouissement et moi, je tremblais de toutes mes soupapes. Mon nouveau propriétaire débutait. Il ne possédait pas l’expérience, les méthodes de reconnaissance ni l’assurance d’Éric.
Nous étions paralysés par le trac. Je connus souvent cette sensation au cours de nos années de compétition. Quelques minutes avant la course, l’angoisse nous envahissait. Ce n’était pas la peur de l’accident, la crainte des dommages matériels ou corporels, mais l’inquiétude de mal faire, de ne pas être à la hauteur de ce que les spectateurs, les amis venus nous voir courir, le speaker et les journalistes attendaient de nous. Ce malaise disparaissait toujours comme par enchantement dès que le départ était donné pour laisser place à la concentration absolue et à l’exaltation de la course. Ce jour là, nous avons gagné notre catégorie après une lutte acharnée. Pendant deux ans, presque chaque week-end de la saison de compétition qui durait à peu près de mars à septembre, nous avons disputé des courses de côtes, des rallyes et même quelques épreuves en circuit. Yannick devint de plus en plus rapide et de plus en plus acharné au volant. Sa fougue et son adresse alliées à ma puissance nous permirent de remporter très souvent notre catégorie. Je vis souvent Éric; Il pilotait alors une Vivia groupe 4. Nous ne courions donc pas dans la même catégorie. Mais il venait souvent bavarder avec mon nouveau pilote et ne se montrait pas avare de conseils à notre égard.
Yannick s’affirmait comme un pilote de talent. La presse spécialisée lui avait consacré plusieurs articles. Les couleurs d’annonceurs publicitaires étaient venues orner ma carrosserie. Ma photo avait été publiée dans diverses revues. Hélas, malgré les révisions régulières, je commençais à vieillir. Une nouvelle réglementation allait entrer en vigueur. Elle m’interdirait de briguer de nouvelles victoires. D’autres modèles Vivia, jeunes et puissants, devenaient plus performants. Yannick songeait à me vendre et à acquérir une de ces voitures. L’heure de ma retraite sportive avait sonné.
(à suivre le 3 juillet 2006)
Si les automobiles Vivia jouent un rôle non négligeable dans les roman de Thierry Le Bras, le héros principal en est toute de même un être humain, David Sarel.. Plongez-vous sans attendre dans l’atmosphère de ses premières aventures parues aux Éditions Astoure (cf : http://astoure.site.voila.fr ) , notamment « Circuit mortel à Lohéac » et « Faits d’enfer à Carnac ».