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MEMOIRES DE VIVIA (7)

Objets inanimés, avez-vous donc une âme, écrivit Lamartine ?

Oui, répond cette Vivia 1.600 S née en mille neuf cent soixante-dix huit  qui rapporte ici ses souvenirs, ses grandes joies, ses triomphes, ses peines, ses angoisses et sa retraite dorée.

(suite du texte mis en ligne le 3 juillet 2006)

Chapitre 7 :

            Je restais plusieurs mois sur le parc du garage. A cette époque, mes soeurs et moi n’étions pas très recherchées sur le marché de l’occasion. Trop coûteuses à entretenir, trop gourmandes, trop chères à assurer, tels étaient les reproches que nous entendions sans cesse. Triste et déprimée, je me sentais devenir vieille. Je regrettais avec amertume le temps où l’on m’admirait, où l’on s’intéressait à moi, ma jeunesse...

            Enfin, un acquéreur se présenta. C’était un mécanicien de vingt ans, prénommé Bernard. Mon âge et les réparations éventuelles ne l’effrayaient pas; il saurait m’entretenir. Bernard était bien différent de mes précédents propriétaires. Il se montrait extrêmement timide et semblait toujours un peu gêné. Il vivait dans la crainte de déranger. Les voyages ne l’attiraient pas et il ne se sentait heureux que dans la région lorientaise qui l’avait vu naître et grandir. Quoiqu’encore jeune, il était déjà prisonnier d’habitudes et d’horaires fixes. Il n’aurait envisagé pour rien au monde de quitter son employeur, malgré les offres alléchantes qu’il avait reçues. Il habitait chez ses parents, agriculteurs dans un petit village proche de Quimperlé... Il me traita avec beaucoup de douceur et de patience. A mon âge et avec mon kilométrage, je commençais à ressentir quelques petits problèmes de santé, notamment d’ordre électrique. Bernard ne s’énervait jamais, même si je ne démarrais pas le matin. Quand cela arrivait, il empruntait la voiture de ses parents en attendant de trouver le temps de me réparer, le week-end suivant. Alors, il me consacrait les heures nécessaires, sans jamais laisser paraître le moindre signe d’impatience ou de rancoeur. Lorsque je me remémore cette période, je pense même qu’il ressentait autant de joie à m’entretenir qu’à me conduire. D’ailleurs, il roulait très raisonnablement, sans solliciter outrageusement mes organes mécaniques. Je me sentais en sécurité entre ses mains, et j’atteignais un stade de mon existence où j’aspirais au calme. Je m’habituais donc sans peine à cette vie douce et paisible.

            Nous ne parcourions que des trajets assez courts (dix mille kilomètres seulement au cours de la première année).

            Malheureusement, j’allais connaître l’année suivante, en 1988, une panne grave, la panne avec un grand « P » : une bielle coulée. Je ne roulais plus. Il fallait trouver un nouveau bloc moteur pour me réparer.

            Cette panne se produisit à un très mauvais moment. Bernard fréquentait sérieusement depuis plusieurs mois une petite amie. Ils avaient décidé de vivre ensemble et de se marier. Très attachés tous deux à la terre et à la propriété foncière, ils avaient acquis ensemble, grâce à l’aide d’un emprunt, une fermette à restaurer. Bernard y consacrait tout son temps libre, ainsi que l’intégralité de son budget. Son amie possédait une petite voiture presque neuve et travaillait dans le même quartier que lui. Il pouvait dès lors se passer de moi.

            Il me gara dans une grange désaffectée de la ferme familiale, espérant me remettre en état dès que possible.

            Je me sentais une nouvelle fois abandonnée. Dieu que les journées semblent longues au fond d’un hangar sombre et poussiéreux. Je ne disposais pour me tenir compagnie que d’un vieux tracteur et d’une charrue hors d’usage. Mes seuls visiteurs étaient quelques mulots à la recherche d’un abri, et quelques chats intéressés par la nourriture potentielle représentée par lesdits mulots.

            Les mois puis les années s’écoulèrent, sans que Bernard ne trouve le temps, ni vraisemblablement l’envie de s’occuper de moi. Il roulait désormais dans un banal break Diesel et n’avait plus besoin de moi.

            Une crainte quasi obsessionnelle s’emparait de moi : la peur de la corrosion, qui constitue pour nous, automobiles, l’équivalent du cancer pour vous, les êtres humains. Ce fut véritablement une triste période. Je m’imaginais finissant mes jours en pièces détachées chez un casseur.

            Par bonheur, j’allais échapper à cette terrible fin. En 1994, Bernard ayant définitivement renoncé à me réparer et projetant de changer son break banal contre un bête monospace se souvint que je prenais de la valeur en vieillissant; Il décida de me vendre plutôt que de solliciter un crédit. Il fit paraître une annonce dans une revue automobile.

(à suivre le 7 juillet 2006)

Si les automobiles Vivia jouent un rôle non négligeable dans les roman de Thierry Le Bras, le héros principal en est toute de même un être humain, David Sarel.. Plongez-vous sans attendre dans l’atmosphère de ses premières aventures parues aux Éditions Astoure (cf : http://astoure.site.voila.fr ) , notamment « Circuit mortel à Lohéac » et « Faits d’enfer à Carnac ».

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