Objets inanimés, avez-vous donc une âme, écrivit Lamartine ?
Oui, répond cette Vivia 1.600 S née en mille neuf cent soixante-dix huit qui rapporte ici ses souvenirs, ses grandes joies, ses triomphes, ses peines, ses angoisses et sa retraite dorée.
(Suite du texte paru le 26 juin 2006)
Chapitre 4 :
Je me trouvais donc chez le concessionnaire qui avait livrée l’Alfetta qui me remplaçait dans la vie de Jean-Yves. Après une révision et un sérieux nettoyage, je fus placée dans la vitrine d’exposition. Encore imprégnée de la nostalgie des mois vécus avec Jean-Yves et Jacqueline, j’attendais mon nouveau propriétaire avec angoisse.
L’expectative ne dura que quelques jours. Louis, commerçant bien établi, déjà propriétaire d’une grosse et prestigieuse berline allemande, m’acheta afin de m’offrir à son épouse comme cadeau d’anniversaire.
Ma nouvelle maîtresse se prénommait Bernadette ; elle préférait se faire appeler Betty. Elle maîtrisait parfaitement l’art du choix du maquillage et de ses toilettes mais, malheureusement, beaucoup plus difficilement la conduite.
Notre cohabitation ne fut pas heureuse. Certes, Betty se réjouit de l’envie - pour ne pas dire la jalousie - que mon aspect provoquait chez ses amies et ses relations, mais ensuite, elle me trouva quantité de défauts : mon coffre minuscule, ma suspension trop raide, mes deux portes peu pratiques, ma direction trop lourde, mon échappement trop bruyant. Je me sentais frustrée et totalement incomprise.
Elle m’énervait profondément. Elle ne m’utilisait que pour des parcours urbains, préférant la confortable berline de son mari lors de ses rares randonnées routières. Elle conduisait lentement, assez distraitement, ce qui m’effrayait, toujours en léger sous-régime - véritable insulte pour mes soupapes, et semblait ignorer le sens du verbe rétrograder. En outre, il me fallait supporter son gamin, véritable petit monstre hurlant sans cesse, posant ses pieds crottés sur mes sièges, jetant ses papiers de bonbons sur ma moquette ou les cachant dans la boite à gants. Enfin Oscar, pékinois encore plus affreux et abominable que la progéniture de sa maîtresse, rayait mon cuir avec ses griffes et s’acharnait à mordre mon levier de vitesses dès que ma propriétaire avait le dos tourné.
Notre association prit fin un jour d’hiver, début 1980. Le thermomètre indiquait cinq degrés au-dessous de zéro ; quelques plaques de verglas apparaissaient sur la route. Ce matin là, Betty ne porta pas attention à la température ni à l’humidité. Elle aborda comme à l’habitude la grande courbe à droite de la petite route qui reliait le quartier résidentiel où nous demeurions à l’entrée de la ville. Arrivée trop vite sur la glace, je ne pus rien faire.
Mes pneus se dérobèrent sous moi. Effrayée, Betty bloqua les freins. Le choc était inévitable. Je résistai bien ; elle s’en sortit indemne. Ma carrosserie, mon train avant, et même mon châssis avaient souffert. Un passage au marbre - véritable opération chirurgicale - et de sérieuse réparations s’imposaient.
Ingrate, Betty ne voulut plus entendre parler de moi. Elle rejeta la responsabilité de l’accident sur mes qualités routières prétendues insuffisantes et obtint, au nom de la sécurité, que son mari me remplace par une berline allemande de la même marque que la sienne.
Cette décision me soulagea. Cette femme m’était vraiment devenue insupportable. Un nouvelle phase de ma vie allait commencer, beaucoup plus passionnante.
(à suivre le 30 juin 2006)
Si les automobiles Vivia jouent un rôle non négligeable dans les roman de Thierry Le Bras, le héros principal en est toute de même un être humain, David Sarel.. Plongez-vous sans attendre dans l’atmosphère de ses premières aventures parues aux Éditions Astoure (cf : http://astoure.site.voila.fr ) , notamment « Circuit mortel à Lohéac » et « Faits d’enfer à Carnac ».