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RONNIE – L’ŒIL DU TIGRE

medium_Copie_de_MATRA_MURENA.jpgFICTION

Cet été , Éric Trélor, personnage récurrent des Aventures de David Sarel, évoque avec le journaliste Sébastien Ménier des souvenirs de sa carrière de gentleman driver.

SUITE des textes mis en ligne les 1er et 2août 2007

Ces jours-ci, Éric raconte Ronnie, un pilote particulièrement attachant qu’il a bien connu. Le lecteur observera que gentleman driver ne signifie pas pilote lent, loin s’en faut, mais seulement pilote qui exerce un autre métier. Car si CIRCUIT MORTEL suit de près les pilotes qui atteignent le plus haut niveau, le blog s’intéresse également aux purs amateurs, ceux qui ne prennent le volant que par passion, sans enjeu de carrière à la clé.

Sébastien Ménier : Tu as évoqué le sens de l’attaque de Ronnie. Te rappelles-tu de certaines anecdotes en particulier ?
Éric Trélor : Tout à fait. Avec sa Chevrolet Camaro par exemple. Il enchantait le public. Dans les épingles et les virages en forme de fer à cheval, il la menait en contre-braquage dans de longs travers. En sortie de courbes rapides, il la faisait aussi survirer à l’accélération d’au moins un mètre. C’était un pilotage à haut risque. D’ailleurs, la Camaro a souvent flirté avec les rails et les bottes de paille. Mais c’était une voiture solide et Ronnie était carrossier…. Heureusement aussi qu’il était soutenu par un distributeur de pneus. Souvent, quand il remettait les chevaux en sortie de virage, les pneus ciraient et laissaient de la gomme brûlée sur le bitume dans un nuage de fumée blanche. Ceci dit, c’était fabuleux pour le spectacle.

Sébastien Ménier : Était-il efficace ?
Éric Trélor : Ronnie était un bon pilote. Il aurait pu faire mieux en adoptant un style plus coulé, moins brutal et en sacrifiant le spectacle pour gagner en efficacité. Je le lui ai souvent fait remarquer et il me répondait invariablement, « je sais, mais je ne résiste pas au plaisir, c’est trop jouissif de faire de faire glisser l’auto. En plus, c’est l’avantage de rester totalement indépendant. Toi, tu es pilote Vivia, tu as quelque part une obligation de résultats. Même si Freddy (1) ne te virera jamais de l’écurie, tu es obligé vis à vis de tout le monde de tout mettre en œuvre pour gagner. Moi, je m’amuse. Mes sponsors me demandent avant tout de faire le spectacle. Alors, je ne m’en prive pas. » Il avait raison. Nous adoptions deux conceptions différentes de la course. Aucune ne valait mieux que l’autre. Simplement, nous répondions à des contraintes et finalités différentes. Ceci dit, moi je prenais aussi beaucoup de plaisir à optimiser l’efficacité de mon pilotage. Au niveau popularité, je ne sais pas lequel d’entre nous était gagnant. Je me rappelle de l’édition 1978 de la Course de côte de Saint-Gouëno. C’était un circuit difficile sur une piste étroite, avec des enfilades rapides qui se ressemblaient au bas du circuit, un virage à gauche en fer à cheval, une longue courbe à droite qui n’en finissait pas et un gauche 100 en haut. Ronnie prenait le fer à cheval tout en travers, il faisait fumer les pneus arrière sur 50 mètres à la ré-accélération, il finissait le droite en donnant un coup d’aile arrière dans les bottes de paille à l’extérieur, et il faisait encore partir l’arrière et fumer les pneus à la sortie du dernier gauche. Il laissait au moins une seconde pleine dans l’hyper-générosité de son pilotage. Résultat, il finit sixième du groupe 1. Le meilleure Rallye 3, comme par hasard celle de Luc (2), le talonne à 15 centièmes. En retranchant une seconde à son temps, ils se classait troisième, juste derrière les Escort de Jacques Dumoulin (3) et Pierre Sapeur. Moi, je m’applique avec la Vivia 1,6 litre groupe 3. Je glisse un peu, juste ce qu’il faut. Je soigne mes trajectoires au millimètre, je ne commets aucune faute. Sur cette piste étroite et délicate, je gagne le groupe devant une Porsche 3 litres ! A la remise des prix, nous avons été applaudis de la même façon. Moi, parce que j’avais terrassé les grosses voitures allemandes avec un petit coupé fabriqué en Bretagne, lui parce qu’il avait fait plaisir aux spectateurs. Il me l’avait observer d’ailleurs. « Tu vois que ce n’est pas le résultat brut qui rend populaire ! », avait-il plaisanté.

Sébastien Ménier : Tous les pilotes qui vont vite sortent de temps en temps. Je suppose que son style l’exposait plus que d’autres.
Éric Trélor : Effectivement. Je me souviens d’une bagarre fantastique à Bais Montaigu. Nous étions tous les deux engagés en groupe 4, dans la classe des moins de 1600 cm3, moi avec un coupé Vivia, lui avec une Matra Murena. C’était en 1980. La Matra était une voiture très bien équilibrée. Nous avions fait essayer nos autos à un journaliste spécialisé sur le circuit Bugatti. Nous en avions profité pour faire quelques tours nous aussi avec la machine concurrente. Ronnie trouvait sa Matra plus facile à pilote que ma Vivia. C’était sans doute vrai. Le moteur central de la Matra préparée dans cette version lui donnait un tempérament neutre. Ronnie réussissait quand même à la faire glisser, mais moins que la Camaro, Avec son moteur avant et ses roues arrière motrices, le petit coupé lift-back Vivia se montrait beaucoup plus vif. Mais j’en avais l’habitude et je faisais corps avec elle. Le moteur de la Vivia était un peu plus puissant que celui de la Matra, mais sa plage d’utilisation était plus réduite. Il ne marchait que haut dans les tours. Sortant du gros V8 de la Camaro, Ronnie ne comprenait pas comment je pouvais me sentir à l’aise avec la Vivia. A Bais Montaigu, un autre circuit difficile avec une longue descente, un droite très fort qui demandait beaucoup de cœur et une fin de parcours qui ressemblait à une spéciale de rallye, Ronnie croyait en ses chances, pensant que la Vivia serait trop dure à amener. Il oubliait que je faisais régulièrement du rallye avec. Il n’aurait pas dû, d’autant qu’il faisait partie de l’équipe d’assistance.
A la première montée d’essais, je l’ai devancé, mais de peu. Les autres concurrents de la classe étaient loin derrière. J’avais pris mes repères sans prendre de risques excessifs. A la seconde montée d’essais, je suis parti à la faute au freinage sur une bosse avant un gauche. J’ai trop retardé mon freinage. L’arrière s’est délesté sur la bosse. Je suis partie en tête à queue et j’ai fait une touchette. J’ai juste en peu froissé une aile arrière. Rien de méchant. Je suis reparti et j’ai fini ma montée. Ronnie s’est trouvé en tête du groupe 4 ! Il avait attaqué comme une bête, devançant les pilotes de Porsche et celui d’une Alpine A 310 V6 groupe 4. Le midi, il y croyait très fort. Mais à la première montée, j’ai remis les pendules à l’heure. J’ai mis une valise à Ronnie (2 secondes pleines). J’ai pris la tête du groupe devant l’A 310 et Ronnie. Les pilotes de Porsche étaient moyens. Ils se battaient pour la quatrième place avec des X 1/9. A la deuxième montée, tout le monde est parti le couteau entre les dents. Ronnie a fait mine de caler avant l’appel du starter pour que je passe devant lui. Je crois qu’il espérait me déstabiliser. Il n’a pas réussi. J’ai encore amélioré mon temps. Mikaël (4) m’a expliqué ce qui s’était passé juste après. Moi, j’étais descendu de ma voiture après la ligne d’arrivée. J’attendais mon chrono auprès du tableau des temps. Tout à coup, j’entends le bruit du moteur de la Matra. Je devine que Ronnie arrive dans un droite, là où s’est posté Mikaël avec un appareil photo. Après ce droite en dévers où la roue intérieure droite lève, il reste un pif paf où j’ai levé, pas freiné, juste soulagé, avant d’aborder soixante-quinze mètres de ligne droite et le gauche 90 de l’arrivée. Le moteur de la Matra est à plein régime. Ça veut dire que Ronnie entre dans le pif paf sans lever. A mon avis, ça ne peut pas passer. Quelques minutes plus tard, je m’arrêterai au bord de la piste afin de récupérer Mikaël qui redescendra au parc fermé avec moi dans la Vivia. Il me confirmera que Ronnie est entré à fond absolu dans le pif paf. Tout à coup, nous entendons un bruit de chocs, une sorte de grand badaboum, mais plus de moteur. Ronnie a escaladé un talus et la Matra est partie en tonneaux dans le champ derrière. Il s’en tire indemne, car les voitures de course sont sécurisées, notamment grâce à l’arceau intégral. Mais notre copain nous a encore fait très peur.
De retour au parc, il m’étonnera une nouvelle fois. « J’ai une nouvelle pour toi, m’annonce-t-il le sourire aux lèvres. Le pif paf en haut, rien à faire, il ne passe pas à fond. N’essaie pas l’année prochaine. Y’a rien à faire, j’te dis ! »

Sébastien Ménier : A-t-il fini par te battre une fois ?
Éric Trélor : Il a failli m’avoir à Landivisiau en 1981. A la dernière montée d’essais, mon moteur se met à ratatouiller à 6200 tours. Michel et André pensent à une saleté dans l’essence. Ils vidangent le réservoir, contrôlent tout, à commencer par les injecteurs. Je vais faire un tour sur route ouverte. Tout va bien.
Première montée de course, ça recommence. Du coup, Ronnie se trouve en tête du groupe 4.
Finalement, c’est Michel qui a trouvé ce qui n’allait pas. Un bête problème au rupteur d’allumage. Il se déréglait, mais pas tout le temps. Ronnie se voyait déjà gagner le groupe. Mais à le seconde montée, j’ai repris l’avantage. Il se classait tout de même souvent second derrière moi, devant un peloton de X 1/9 groupe 4 et les Vivia moins affûtées ou moins bien amenées. Et il remportait régulièrement des courses en régional. Là, je ne l’embêtais pas. Je ne participais presque jamais aux courses régionales.
Un autre fois, à Saumur, il a conçu de grands espoirs à l’issue de la première montée. Dans un droite 90, je me suis loupé. J’ai pris la berne. Elle m’a servi de tremplin et je suis parti sur deux roues. Je me suis demandé de quel côté la voiture allait basculer. Elle est retombée sur ses roues. Je suis reparti sans insister, sachant que la montée était cuite. Ronnie sautait de joie. Mais à la deuxième montée, je suis repassé devant lui….

A suivre …

(1) Freddy Vivien, personnage récurrent des Aventure de David Sarel, pilote de F1 de 1977 à 1992 et créateur des Automobiles Vivia avec Éric Trélor

(2) Luc Crilllon, pilote Vivia dans Circuit Mortel à Lohéac et Chicanes et Dérapages de Lorient au Mans

(3) Jacques Dumoulin, pilote amateur d’excellent niveau qui apparaît dans divers scenarii qui se déroulent dans l’univers de David Sarel, notamment Duel au soleil des coteaux mis en ligne la semaine dernière sur ce blog. A noter qu’après sa carrière de pilote, Jacques est devenu chef de stand chez Vivia pour les courses d’endurance.

(4) Mikaël Mermant : personnage récurrent des Aventures de David Sarel et navigateur d’Éric en rallye à l’exception de quelques épreuves où ce dernier embarqua son filleul David à ce poste lorsqu’il était plus jeune afin de le familiariser avec la course automobile.

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Vous aimez les émotions que procure la course automobile et vous souhaitez les retrouver dans des fictions ?

C’est possible. Découvrez les nouvelles et romans rédigés par Thierry Le Bras qui mettent en scène l’avocat –pilote David Sarel, un personnage au caractère très fort :
- des nouvelles (fictions courtes) sont en ligne dans les archives de ce blog ;
- les romans, pour l’instant « Circuit mortel à Lohéac », « Faits d’enfer à Carnac » et « Chicanes et Dérapages de Lorient au Mans » ont été édités par les Éditions Astoure (diffusées par Breizh).

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